Histoire des ponts de Sivry

Prologue

                              En arrivant à Sivry, venant de Dannevoux, un panneau annonce la déviation par Consenvoye. Que se passe-t-il donc ? on comprend vite : les trois ponts de décharge vont être reconstruits. Et c’est alors que l’on se rend compte que la chaussée qui permet d’atteindre Sivry a une histoire récente, moderne, et qu’elle constitue un ouvrage particulier qui a nécessité des investissements lourds, mais qu’elle répond à un réel besoin dont nos ancêtres se sont passé pendant près de mille ans. Et on n’imagine pas ce que l’on ferait si cette chaussée n’avait pas été construite, elle qui mérite que l’on raconte son histoire, liée aux développements économiques de toutes natures qui ont marqué les cent dernières années.

 Ce récit s’appuie sur des témoignages, des souvenirs cueillis ici et là, des notes parues dans des bulletins municipaux ou autres. Il n’a pas d’autre prétention que de réunir cette documentation pour montrer comment cette chaussée s’est faite au fil des ans et des événements. Le texte comporte sûrement des erreurs ou des inexactitudes que des recherches plus approfondies ou d’autres témoignages pourraient corriger. En vous priant de nous excuser de ces lacunes, nous accueillerons avec plaisir toute information susceptible de corriger ou de compléter cette histoire.

Avril 2002   

 

A

U commencement était la Meuse, toute seule, charriant et roulant ses eaux calmes et « dormeuses » dans la large vallée qu’elles s’était taillée au cours des millénaires. Puis se rétrécissant peu à peu, elle laissait sur ses rives des limons fertiles et bien exposés au soleil que, vers l’an Mil, des riverains cultivateurs remarquèrent ; ils se fixèrent dans cette boucle, comme d’autres, en d’autres lieux du fleuve (1); ils fondèrent sur sa rive droite les village de Superiacus major et Superiacus minor pour y développer la culture et l’élevage. En 973, il est fait état pour la première fois de ce site dans un inventaire de Wicfrid, Evêque de Verdun de 962 à 985 : les deux Superiacus étaient le fief de l’évêché de Verdun. Ce fut le début de la longue histoire du village dont le nom évolua plusieurs fois au cours des siècles.(2)

Mais revenons à la Meuse, qui, mille ans plus tard est toujours là. Sa mémoire se réveille de temps à autres et elle reprend pour quelques semaines la plaine que par négligence, ou paresse, elle avait abandonnée aux hommes. Sivry, évolution finale depuis le 14ème siècle du nom du village primitif, s’est développée, enrichie du labeur des nombreuses générations de cultivateurs – une quarantaine. - qui s’y sont succédées, tout comme tant d’autres villages des bords de Meuse.

De sédentaires au départ, les habitants peu à peu se déplacent pour commercer, pour échanger, pendant les périodes de paix. Les guerres, les conquêtes, les invasions, les occupations, les pillages ruinent parfois les habitants, mais les incitent à se déplacer, soit pour se protéger, soit pour communiquer avec les villages voisins et mettre leurs biens à l’abri. Ces déplacements, en temps de paix comme en temps de guerre, se font suivant un axe nord-sud, vers Verdun, Consenvoye, Vilosnes, Dun et Stenay, axe parallèle à la Meuse ; les invasions, elles, viennent toujours du Nord. Les liaisons avec Damvillers, à l’Est, ou avec Montfaucon ou Romagne à l’ouest, étaient plus difficiles : d’une part il fallait escalader la côte ou d’autre part franchir l’obstacle que constituait la Meuse. Si l’on voulait aller vers l’ouest, il fallait aller faire le détour par Vilosnes pour atteindre les Ardennes ou la Champagne, après avoir franchi  les monts et les forêts d’Argonne. Il est d’ailleurs curieux que Napoléon rattachât administrativement Sivry au Canton de Montfaucon…


C’est donc tout naturellement que cet axe Nord-Sud garde son privilège et que les voies de circulation terrestres s’amplifient. Les chemins s’élargissent, se renforcent, deviennent des chaussées, puis des routes. Ce n’est que vers la fin du 19ème siècle que la voie terrestre doit abandonner son exclusivité pour partager les déplacements avec les voies navigables et avec le chemin de fer. C’est de ces innovations révolutionnant le transport, de ces grands travaux, que date l’histoire des ponts de Sivry. 

Les aménagements de la Meuse, en la canalisant, afin de la rendre navigable dans son cours entre Verdun et Charleville et de profiter ainsi d’une connexion avec les voies navigables du Nord, ainsi que la construction du chemin de fer entre ces mêmes villes, devaient engendrer le développement industriel de la vallée de la Meuse de cette époque en facilitant les échanges de marchandises, de biens et de personnes.   

 Des activités naissent, telles la féculerie à la Planchette, le commerce du vin, le port de Sivry, qui générent à leur tour l’essor d’une activité commerciale et artisanale à Sivry.  Les archives ou les anciens annuaires nous donnent des informations intéressantes sur tous les métiers que l’on pouvait trouver à Sivry, y compris les premiers balbutiements du tourisme avec l’auberge de la Matelotte, face à la rue actuelle de Soutreville (3) tenue par la famille Poncelet(4). C’était un relais de poste. Le port de Sivry, entre les deux ponts actuels du canal, tenait lieu d’escale que les mariniers pratiquaient pour bénéficier, sans doute , du chaleureux accueil de l’auberge de la Matelotte, qui devait être concurrencé par des établissements construits le long du port. Celui-ci fut largement utilisé, plus tard, par les allemands pendant la guerre 14-18 pour y fabriquer des péniches et expédier en Allemagne, après transformation à la féculerie, des billes de bois et de grumes provenant du pillage des forêts(5).

 Mais la construction du canal, avec de la main d’œuvre « importée » dont quelques descendants ont fait souche à Sivry, a pour conséquence d’apporter un obstacle aux cultivateurs pour accéder à leurs prairies ou à leurs champs riverains de la Meuse, à la hauteur de Sivry. Il fallut donc construire un pont sur le canal vers les années 1875/1880 : ce fut le pont du Canal (On verra plus tard les difficultés rencontrées par les cultivateurs lorsqu’il n’y a pas de pont), faisant suite, à quelques dizaines de mètres, au pont du Brouzel qui enjambe le Bief depuis des temps plus anciens . La voie ferrée ayant été construite à la même époque que le canal, avec son arrêt de Sivry, il fallut aussi construire un pont sur la Meuse pour permettre aux « usagers » du Chemin de Fer d’accéder sans trop de difficultés à l’arrêt. Ce sont donc les deux premiers ponts, de la première génération, construits à Sivry : Goethe ayant écrit que, pour regagner la route - la chaussée - qui mène  à Verdun, alors qu’il remontait par la rive gauche, il fallait aller au-delà de Sivry, à Consenvoye  peut-être, pour franchir le fleuve, montre qu’il n’y avait pas de pont à cet endroit. Jusque là, on pouvait passer à gué – Le Gué des Cavaliers – pour rejoindre l’autre rive si l’on voulait éviter le détour par Consenvoye ou Vilosnes ou Dun, mais il fallait être à cheval.

 La construction du pont de Strouville fut ensuite entreprise, puis celle de la passerelle, à la sortie de Sivry en allant vers Vilosnes et aussi celle du Barrage, entre Sivry et Consenvoye, là où le canal cède à nouveau la place à la voie naturelle qu’est la Meuse. On en était là le 4 Août 1914 et il fallut attendre les années 1920 pour que les trois ponts de « décharge » fussent érigés. En comptant bien, il y a donc huit ponts dans un rayon de deux kilomètres de la Mairie de Sivry.

 Le troisième pont de « décharge », celui qui est entre le pont de la Meuse et la voie de chemin de fer et l’Arrêt de Sivry, est situé sur la commune de Dannevoux ; il appartient à cette commune. Celui du Barrage est sous administration des Voies Navigables, et la Passerelle-le neuvième pont-, détruite elle aussi en 1914, n’a jamais été reconstruite : seules ses culées attestent sa présence passée. Enfin, le pont de la Meuse étant à cheval sur la limite des deux communes de Sivry et de Dannevoux, est administré en commun. Ce sont donc en définitive cinq ponts et demi qui sont gérés par la commune de Sivry, avec des statuts différents, suivant qu’ils ont subi des destructions lors des deux guerres, entraînant des subventions de dommages de guerre pour les reconstruire ou suivant qu’ils sont d’utilité générale et financés comme tels, sans avoir subi d’outrages guerriers.

Le pont du Brouzel tient son nom du quartier de Sivry dans lequel il a été construit, au bout de la rue du Moulin, après la brasserie. On a peu d’informations concernant le pont construit bien avant la construction des autres ouvrages. C’est peut-être le plus vieux pont de Sivry.

 Le pont du Canal, quant à lui, date de l’époque du creusement de la voie d’eau, dans les années 1875/1880. Il était de faible portée comme le montre une carte postale du début du XXème siècle, les péniches de l’époque étant de bien moindre importance que les péniches modernes de 5000 tonnes qui sillonnent les canaux à grand gabarit. Ses berges accueillaient les promeneurs à la belle saison, sur les chemins de halage. Dès le début des hostilités en 1914 il fut détruit pour retarder l’avance des Uhlans. Les Allemands le restaurèrent, comme le montre une photo de 1915 sur laquelle on voit des hommes renforçant par des étais les quatre piliers provisoires en bois soutenant un tablier de fortune, tout ceci sous la surveillance de soldats en arme au pied du pont, tandis que deux autres observent le paysage accoudés à la rambarde. Il est possible que les hommes au travail fussent des prisonniers, pour être ainsi surveillés, mais les « Anciens » nous rapportent que les Allemands n’aimaient pas confier des travaux d’un tel intérêt stratégique à du personnel peu fiable… C’est le Pont de la rivière Kwaï avant l’heure. Une autre carte postale nous fait revivre l’opération des essais de charge de l’ouvrage provisoire par le passage d’une troupe de Uhlans bien fournie.

   Dès la fin de la guerre, ce pont provisoire fut remplacé par un ouvrage plus solide, un pont « caisson » ou « poutre » en ossature métallique rivée ; il fut financé sur dommages de guerre. Des fêtes furent organisées sur le canal : plongeons, courses de natation apportèrent une note de gaieté à l’ouvrage retrouvé. 

 Puis survint 1939 et juin 1940. Toujours avec la stratégie de retarder l’avance des Panzers, le pont du Canal fut à nouveau détruit, sans qu’une solution provisoire fut réalisée, ce qui ne facilita pas la tâche des cultivateurs. Il fallut attendre 1945 pour rétablir le passage en utilisant un surplus, ou une récupération, du Débarquement allié de Juin 44. Ce pont, du type « Arromanches » était également en charpente métallique et n’était pas destiné à durer. Il fallut attendre 1988 pour reconstruire un ouvrage sérieux, sur financement de l’Etat. Il fut inauguré le 2 Mars 1990 par le Préfet Joël Gadbin, le Sénateur et Président du Conseil Général M.Rémi Hermant. L’Entreprise Berthould réalisa un ouvrage en béton armé, d’une seule portée, plus large et d’un tirant d’air plus élevé que son prédécesseur, pour s’adapter à l’évolution du transport fluvial et aux nouveaux gabarits des péniches d’après guerre. Ce fut donc le quatrième pont du Canal, en comptant la construction provisoire de 1915. C’est ainsi que le bulletin municipal d’avril 1990 rapporte la cérémonie d’inauguration, et le discours du Maire  (6):

 L’inauguration du pont du canal (dit du Brouzel) avait lieu, comme vous savez, le vendredi 2 mars en présence de nombreuses personnalités locales ou régionales.

Ce fut pour nous l’occasion de remercier l’Etat pour avoir financé à 100% la reconstruction de ce premier ouvrage (au total 2 250 000 F) mais aussi d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de remettre en état les autres ponts : trois dits « de décharge (dont un sur le territoire de la commune de Dannevoux) et celui qui enjambe la Meuse. Ce dernier, pour lequel un crédit de 3 750 000 F sera débloqué doit être refait à partir de septembre pour ne pas entraver la saison touristique. Tout ne se règlera pas si les trois autres ouvrages ne font pas l’objet d’une réfection (ils ont besoin d’être élargis, en particulier : j’ai dû dire « nous ne sommes pas de taille à supporter cette dépense » et, à nouveau, j’ai sollicité le concours financier de l’Etat, du Conseil Général, de la Région. Sinon, à mon corps défendant, ne serai-je pas contraint de prendre un arrêté interdisant, en raison du danger pour les usagers, la circulation sur cette route, dans l’hypothèse où le souhait émis ne serait pas entendu ? Ne nous trouverions pas dans une situation hautement absurde de voir l’Etat dépenser la bagatelle de six millions de francs pour une voie de 800 mètres fermée à la circulation ? La cause a été entendue par le président du Conseil Général qui fait remarquer « qu’il doit dépenser sagement », et par le Préfet de la Meuse, Monsieur Gadbin, représentant de l’Etat. »

 L’appel était lancé. Il faudra dix ans pour que l’écho en revienne, mais, avant de reprendre l’histoire de ces trois ponts de décharge, il faut revenir au  pont sur la Meuse.

 Le pont sur la Meuse, dit pont de Dannevoux, qui enjambe la Meuse, près de l’Arrêt, a lui aussi une histoire qui est parallèle à celle du pont du Canal. Le premier de la série fut probablement contemporain de ce dernier ; ils eurent l’un et l’autre des destinées parallèles : il fut  lui aussi détruit en 1914, reconstruit en 1926, détruit à nouveau en Juin 1940, puis reconstruit « provisoirement » en 1946 et reconstruit en 1991. Le pont de la première génération était un pont métallique du type « poutre »,  composé de deux éléments reposant sur un pilier central. Celui-ci fut miné et sa destruction précipita dans le fleuve les extrémités centrales de chacune des deux  volées. Celui de la deuxième génération, de 1926 à 1940, fut reconstruit en béton.. Quant à celui de la troisième génération, de 1946 à 1990, il était encore  composé de deux éléments de charpente métallique, d’une silhouette plus élégante, qui reposaient sur le pilier central, réutilisé. La portée de cet ouvrage, dans ses trois versions, semble avoir été plus importante que celle du dernier pont construit ultérieurement en 1990. Monsieur Gaston Dormois, avec beaucoup d’humour, retrace l’histoire de cet ouvrage dont des photos ou des cartes postales montrent les différents ponts qui se sont succédés (7):

 «  Sivry sur Meuse, comme son nom l’indique, est construit aux abords de la rivière. Le pont qui enjambe le fleuve fut, pour des raisons stratégiques, l’enjeu des hostilités franco-allemandes lors des deux conflits . En effet, les ponts, en 14 comme en 40, sautaient comme par enchantement et si, après la destruction, la reconstruction provisoire dura, c’était peut-être pour que l’ouvrage définitif fut prêt en vue du minage de 1940.

Lors de la première Guerre Mondiale, le 26 Août 1914, le bel ouvrage d’art en fer où chaque barre du parapet était rivetée à l’instar de la Tour Eiffel, fut détruit par le Génie, couvert par une compagnie du 165ème régiment d’infanterie.

Malheureusement, le pont de 1926 fut une pâle copie du précédent : son architecture était dénuée de tout sens artistique, et le matériau utilisé, du béton, ne faisait que renforcer l’aspect fonctionnel de l’édifice. En 1940, le 12 Juin, pour retarder l’avance des troupes allemandes, le 6ème Génie le fit sauter.

En 1946, avec du matériel utilisé par les troupes alliées à Arromanches, pour le Débarquement, on put le reconstruire en pont provisoire ; il fut en service jusque en Novembre 1990. En France, le provisoire dure (44 ans). Grâce à la vigilance de nos élus, nous n’avons pas été oubliés ; les travaux sont en bonnes mains. Nous espérons que le nouveau pont sera livré à la circulation pour les beaux jours de 1991. Celui de 1926, en béton, n’avait pas bénéficié, pour sa reconstruction d’un matériel aussi moderne. Les temps ont bien changé : les machines ont relégué l’homme ; il n’y a plus de manœuvres…mais des chômeurs (Il est vrai que les charges sociales etc…sont peut-être un frein à l’embauche ?)   

Pendant quatre ans, de 1940 à 1945, pour exploiter la prairie, les agriculteurs durent, avec leur récolte de foins, faire le tour par le pont du barrage. La prairie était devenue une presqu’île reliée par un cordon ombilical « le chemin du halage » entre Meuse et Canal, et un trait d’union, ce pont dit « du barrage ». Quelle corvée ! Surtout que pendant l’occupation, le seul mode de traction n’était autre que les bœufs.

La prairie haute était exploitée par les agriculteurs de Sivry, et la partie basse l’était par l’Ostland(8), dont le chef de culture était Heinrich Stoltz. Il employait des ouvriers agricoles polonais.

Pendant l’occupation, dans les parcs, de l’autre côté du canal , la traite des vaches était effectuée à la main, et la traversée du canal avait lieu deux fois par jour , en barque, avec le personnel et les bidons de lait »  

 Dans le numéro 8 du bulletin d’information de Sivry, de septembre 1991, on relate l’inauguration de ce pont :

 « Le nouveau pont dit « de Dannevoux » qui enjambe la Meuse, est achevé et ouvert à la circulation depuis juin 1991. Sa longueur est de 46,7m, sa largeur de 5,5m ; il a nécessité 200 m3 de béton et 13 750 kg d’acier. Son coût, 3 725 000 F, a été pris en charge par l’Etat (Pont détruit par fait de guerre le 12 Juin 1940 pour retarder l ‘avance allemande ; avait été installée provisoirement depuis 1946 une passerelle dite « Arromanches » qui a donc été déposée récemment).

Il reste à se soucier de la réfection des ponts dits de décharge : deux sur le territoire de Sivry et un sur celui de Dannevoux. Le Conseiller Général et les maires des deux communes en ont appelé au soutien de l’Etat, de la Région, du Département pour permettre la réfection des trois ouvrages restant, afin que le V.O 5 qui relie la rive droite à la rive gauche de la Meuse soit utilisable pour la circulation des autobus et des poids lourds. »

 Le pont actuel représente donc bien, lui aussi, la quatrième génération : Si le pont ne fut pas reconstruit ou remplacé par une installation légère de dépannage entre 1940 et 1945, tout comme rien ne remplaça le pont du canal pendant ces mêmes années, la période 1914-1918 fut, elle, riche en constructions provisoires comme l’attestent des photos prises par les Allemands depuis la Côte Pin Houx, On compte jusqu’à trois le nombre des ouvrages de franchissement de la Meuse mis en place par les occupants : Des besoins stratégiques de liaison avec Dannevoux, Gercourt puis la Marne et l’Argonne en avaient révélé l’indéniable nécessité. Mais en dehors de ces tristes temps de guerre, ils permirent aux sivretins, outre d’avoir accès aux parcs et à la station de chemin de fer, d’avoir une liaison, dès les années 1880 environ, entre la route D 964, qui va de Charleville à Verdun et aux autres villes de la région par la rive droite de la Meuse, et la route D 123, qui relie Dun-Doulcon à Verdun par la rive gauche. Ces ponts de Sivry permettent en outre l’accès à Montfaucon, Chef lieu du Canton, ainsi qu’à Romagne et Grandpré, puis les Ardennes.

 Mais ce n’était pas toujours facile ou possible, la Meuse de temps en temps, reprenant son lit d’antan et inondant parcs et pâtures entre les deux ponts, comme nous l’avons encore vu cet hiver 2001-2002. C’est dire que ces deux ponts, pour pratique qu’ils fussent, ne résolvaient pas tous les problèmes d’une liaison sûre et permanente entre ces deux routes. Et, surtout avant le règne du tout-automobile, l’accès des voyageurs à l’Arrêt du chemin de fer pour prendre le train pouvait relever de l’exploit, soit en empruntant un bac, soit en allant à la gare de Vilosnes….

 C’est en 1920 qu’un aménagement important fut réalisé : la construction de la « chaussée », qui domine encore les parcs et les zones inondables entre Meuse et Canal. On utilisa pour réaliser le remblai de deux à trois mètres de haut environ les débris et déblais des destructions du village pendant la guerre 14-18, principalement ceux des construction qui formaient un îlot face à l’Eglise, là où se trouve maintenant le monument aux Morts et la place ombragée, les usoirs, en tête de la rue du Moulin. Mais pour éviter que cette chaussée ne se transformât en barrage en cas de hautes eaux de la Meuse et pour permettre à ces eaux de s’étaler dans tous les parcs, trois ponts dits « de décharge » furent intégrés à la chaussée. Construits vers 1922, en béton armé, sous les mandatures municipales de MM. Constant Saintin (9) et Louis Lambinet(10), leur financement, ainsi que celui de la chaussée, fut assuré grâce aux dommages de guerre que la commune reçut en dédommagement de la destruction de ses bois pendant la guerre. Ce fut la « Traversée », la « Route de l’arrêt » ombragée par les ormes, plantés sous la mandature de Constant Saintin, et régulièrement taillés encore de nos jours.

 Ces trois ponts qui venaient s’ajouter au patrimoine des ponts de Sivry, remplirent leur office vaillamment, traversèrent sans encombres la guerre 39-45. Mai dès 1990, les édiles de Dannevoux et Sivry commencèrent à s’inquiéter de l’inadéquation de ces ouvrages au trafic moderne et aussi de leur vétusté. Les démarches, les plans, la mise en place des financements surtout (ces ponts n’ayant pas subi les démolitions de la guerre ne pouvaient prétendre à l’éligibilité à un financement sur dommages de guerre), durèrent une dizaine d’années. Et c’est à près de quatre-vingts ans que ces trois ponts prirent leur retraite. Leur béton était fatigué, bien que  la ligne de chemin de fer fut désaffectée, entraînant la démolition de l’Arrêt vers 1975, et que le trafic local fut réduit. Mais cette chaussée a ouvert les liaisons routières vers l’ouest, puis les loisirs modernes, la pêche, le camping, les résidences d’été, apportèrent un surcroît de circulation importante dans ces écarts de Sivry.

 Et fin 2001, le chantier commença : les trois ponts furent démolis, leur béton pulvérisé pour en extraire les fers, de nouvelles culées préparées pour recevoir des tabliers préfabriqués en acier et en béton, du type V.M.D. Le coût de ces ouvrages se monte à 2 650 000 F ttc, dont le tiers du montant hors taxes, couvert par un emprunt, est à la charge des communes, le reste bénéficiant de subventions de l’Etat, de la Région et du Département.

 Le 19 octobre 2001 le Conseil Municipal délibère :

 « Le président rappelle le plan de financement des travaux de reconstruction des ponts de décharge (deux ouvrages pour Sivry). Les subventions suivantes ont été accordées ; 30 % environ du h.t. par la Dotation Globale d’Equipement (Etat), une subvention exceptionnelle du Ministère de l’Intérieur. Le Conseil décide de souscrire un emprunt de 700 000 F et charge le maire de faire les démarches nécessaires….

 Et le 19 novembre 2001 il décide :

 Le conseil décide….de contracter un emprunt de 700 000 F au crédit agricole pour le financement des travaux des ponts, remboursables en 15 ans et autorise le maire à signer le contrat

En décembre 2001, l’Echo de la vallée sivrotine rapporte 

 

       L a  reconstruction des ouvrages de décharge

 

Ce sont trois PONTS de DECHARGE qui vont être reconstruits dont un sur le territoire de Dannevoux et deux sur le territoire de Sivry.

         Comme prévu, les travaux ont commencé le 1er octobre ; la démolition des anciens ouvrages a été confiée à l’entreprise Pigeard.

         Ensuite ce fut le terrassement et la coulée des culées par l’entreprise Berthold.

         L’entreprise Cicéron a fait acheminer en plusieurs fois les V.M.D. (Viaducs Métalliques Démontables) qui ont été stockés sur l’aire de l’ancienne cimenterie de Brieulles.

         Avec l’accord des propriétaires riverains, des pistes d’accès ont été aménagées dans la prairie.

         Avec le concours bienveillant des services de l’Equipement (MM Mouine et Drouet), maître d’œuvre, les tabliers ont été mis en place en quelques jours.

         Pour les entreprises impliquées, les conditions de travail ont été favorables : pas de crue au moment des terrassements et de la mise en place des piles. Pas de gelées quand le béton a éte coulé et du beau temps ensoleillé quand les V.M.D. ont été amenés par des camions et positionnés par deux  grues de 100 et 60 tonnes.

        La pose des tabliers (quatre par ouvrage, dont les plus longs pèsent 34 tonnes) a duré trois jours (à partir du 11 décembre)

        Chaque semaine, une réunion de chantier fait le point sur l’avancement des travaux (conforme au planning), suivie par la direction de l’Equipement, par les maires des deux communes, les adjoints, par M.Cordonnier, Conseiller Général, et par les responsables des entreprises.

        Restent à présent les finitions (boulonnage, remblais, remises en état, divers) qui seront effectués prochainement à l’issue des congés de fin d’année.

                         En attendant, le VO5 reste fermé à la circulation, mais on peut dire qu’il sera  ouvert plus tôt que prévu.

 

 

On prévoit une mise en service au printemps 2002. Cette chaussée aura donc vu six ponts. La liaison avec l’ouest sera alors rétablie, car, pendant les travaux, la circulation traversière fut déviée par Consenvoye qui a, elle aussi, une chaussée et cinq ponts pour relier les deux routes parallèles à la Meuse. Leur histoire, à ces cinq ponts, doit présenter de nombreuses similitudes avec celle des ponts de Sivry et de ceux de Vilosnes.

 Reste le neuvième pont de Sivry (le huitième, puisque la passerelle n’est plus). C’est celui de Strouville(11) qui est construit au bout de la rue du même nom le long de laquelle étaient construits de nombreux bâtiments de ferme(12), ce qui justifiait qu’un pont leur facilitât la tâche pour accéder à leurs parcs entre canal et Meuse, sans faire le détour soit par le pont du Brouzel et celui du Canal, soit, comme le rappelle Gaston Dormois, par le pont de l’écluse

 

Un premier pont fut construit vers 1880, probablement à la même époque que le pont de Canal. Il était en charpente métallique, comme en témoignent des cartes postales des années 1910, montrant au premier plan des familles se promenant sur le chemin de halage, au plan intermédiaire l’extrémité de la rue du Port et à l’arrière-plan la côte d’Haraumont; à droite on devine le port. Ce pont fut démoli en 1940 et ne fut reconstruit qu’en 1955, financé probablement sur dommages de guerre, en béton cette fois. Ses dimensions, portée et tirant d’air, ont été adaptées aux caractéristiques des péniches modernes. Il y aura donc eu deux générations du pont de Strouville.

 

         Les deux rives de la Meuse et celles du canal ont donc vu à Sivry, en un peu plus d’un siècle, vingt ponts(13) se succéder sur neuf sites, pour les relier entre elles. On pense aux ponts romains ou génois qui ont traversé les siècles et sont encore là, plus pour le plaisir des touristes, d’ailleurs, que pour la facilité du trafic routier de notre temps. Mais ils ont eu la chance de ne pas subir les guerres modernes avides de démolitions.

 

         Plus que des péniches, les ponts sur le canal voient désormais passer sous leur arche les nombreux bateaux de plaisance qui permettent à leurs modernes mariniers de contempler la variété des paysages et le calme champêtre de la vallée. Les autres ponts servent de cadre bucolique aux campeurs et aux pêcheurs à la ligne….

 

         

         Mais les cultivateurs et les habitants de Sivry en sont les principaux bénéficiaires, car leurs déplacements, tant pour les exploitants, équipés d’énormes engins que le modernisme leur impose et qui disposent de routes à la dimension de leurs caractéristiques, afin d’accéder à leurs champs, que pour les familles qui, privées de transports en commun pratiques, doivent se rendre dans les villes ou villages voisins pour assumer les différents besoins de la vie actuelle.. En outre, les routes vers Damvillers, soit par Haraumont, soit par Reville, très carrossables et, ce qui ne gâche rien, très pittoresques, ouvrent les communications avec la vallée de la Moselle.

 

         Ainsi, Sivry, grâce à ses ponts et ses aménagements routiers, est complètement désenclavée et ouverte sur tous les points cardinaux. On ne peut que regretter - mais y-a-t-il une solution ?- la traversée du village par des camions, trop nombreux, trop rapides et trop bruyants. Curieusement, c’est la rive droite de la Meuse qui, jalonnée de villages, supporte ce trafic et les désagréments qu’il engendre, et non la rive gauche, plus déserte. La « traversée » et ses ponts pourraient alors jouer à plein son rôle comme voie de pénétration dans Sivry, à partir de la D123, pour ceux qui  auraient besoin de s’y arrêter, comme ils pourraient le faire aussi à Consenvoye, à Vilosnes et  à Dun..

        Mais ceci est une autre histoire.                     

 

 

 

       Mai 2003

Un an a passé…. Les ponts ont repris leur service normal et l’heure des bilans est arrivé. Dans son bulletin municipal de Mai 2003, Monsieur le Maire a tiré le trait sous ses additions et ses soustractions :

Les deux ouvrages dont Sivry avait la charge ont coûté 415 748, 19 € ttc, Soit 370755 € ht.

La commune a reçu une subvention de 200 428,71 € et elle supporte une charge de 170 326,29 € qui est financée par un emprunt de 106715 € et par 63 611, 29 € de fonds propres.

En outre, la Municipalité de Sivry a investi de nouveaux fonds, couverts par une subvention, pour élargir la route, afin de la mettre au gabarit des ponts et, ainsi, de sécuriser la circulation. Les pauvres ormes plantés par Constant Saintin ont fait les frais de l’opération, mais gageons qu’ils seront remplacés par de nouvelles plantations à la distance réglementaire de la bordure de la chaussée.

Notes :

1 : La Meuse est-elle un fleuve  ou  une rivière? Elle fut probablement le premier, dans des temps reculés, mais on peut la qualifier du  deuxième si l’on considère que son raccordement au Rhin se fait en amont de la Mer du Nord. Le delta est-il mer ou est-il fleuve ?

2 : Voir le bulletin « Au-dessus des clochers valdunois » N°43 de Mars 2000

3 : On peut toujours imaginer, et les habitants de Sivry sur Meuse en particulier mais rien ne permet de l’affirmer, que c’est dans cette auberge, mais plutôt dans une maison particulière voisine, que Goethe, revenant de Valmy via Buzancy, découvrit les fastes culinaires français à travers un appétissant pot-au-feu à l’occasion d’un bref séjour à Sivry, les 5 et 6 octobre 1792. Une ambiguïté subsiste quand on lit  (Campagne de France) que, le 7 octobre, quittant Sivry pour se rendre à Verdun :« nous remontions la rive gauche de la Meuse pour arriver à l’endroit où nous devions la passer, et atteindre, de l’autre côté, la grand route…. ». Dans quelle partie de Sivry pouvait-il donc avoir séjourné les 5 et 6 octobre, sans quitter la rive gauche ni traverser la Meuse vers la rive droite, traversée qu’il recherchera entre Sivry et Verdun le 7 octobre ? Il peut y avoir confusion entre Sivry sur Meuse et Sivry les Buzancy. En effet, en relisant les Mémoires avec attention, il est plus probable et plus logique qu’il campât dans ce dernier village : il quitta Sivry - sans autre précision – à l’aube du 7 octobre, et, probablement après avoir traversé Cunel et Brieulles, il longea la Meuse par la rive gauche, passant alors, apparemment, mais sans le savoir, au large de Sivry sur Meuse, avant de Rejoindre Consenvoye, d’y camper le 7 octobre au soir avant de traverser la Meuse –où ?- pour atteindre Verdun par la grand’route. Mais pourquoi changèrent-ils de destination à partir de Buzancy, d’où il semble qu’ils se dirigeaient vers le Nord-Est ? 

4 : Maison détruite en 1915 ou 1916, reconstruite en 1920, N° 9 d’aujourd’hui, propriété de M. Jean-Luc Collignon. C’est dans une maison voisine, au N° 11, qu’eut lieu, en 1999, le tournage d’une séquence d’un film TV consacré à Goethe, séquence animée par M. Champion, Maire de Sivry.

5 : Bulletin d’information municipal. N°9 Janvier 1992

6 : Discours de M. Yves Pinton, Maire de Sivry du 18 mars 1983 au 23 juin 1995 .

7 : Bulletin d’information de Sivry n°7 – Avril 1991. Article recueilli et rédigé par M.Gaston Dormois, complété par quatre photographies.

8 : Organisation allemande chargée de l’exploitation des terres conquises pour subvenir aux besoins de la Wehrmacht

9 : Maire de Juin 1912 à Août 1919, puis de Mai 1925 à Mai 1935

10 : Maire de Septembre 1919 à Mai 1925

 11 : Ou Soutreville. Les fabricants de la plaque émaillée en tête de cette voie l’ont d’ailleurs baptisée Sartrouville…D’ailleurs, cette rue s’appelait autrefois, jusque dans les années 20, la rue du Port. La rue de Strouville correspondait au prolongement de la Grand’rue, dans le Nord du village, à partir du Lavoir. Les deux rues, la Grand’rue et Strouville,  sont fondues maintenant sous l’appellation très peu poétique de « Route Nationale »

12 : Le « Haut » du village, près de l’église était habité, jusqu’à la Guerre de 14, par les commerçants, les artisans, le notaire, le curé et son presbytère, la mairie, l’école et ses instituteurs, des rentiers, alors que le « Bas » du village avait comme vocation celui de la culture et de l’élevage. Quinze fermiers y étaient installés, surnommés « les gros proprios » (bulletin d’information N°9, Janvier 92, page 10) Les deux clochers de l’église de Sivry, dont il faudrait aussi écrire l’histoire, correspondaient aux deux paroisses, celle de Sivry et celle de Strouville, dépendant d’une même municipalité. Ces deux paroisses sont sans doute les héritières des deux Superiacus, major et minor, des temps anciens.

13 : Sil’on compte les ouvrages provisoires de la Guerre 14-18 sur la Meuse et le canal, ainsi que la passerelle, disparue depuis 1914. Il faudrait aussi rajouter une autre passerelle, disparue elle aussi, entre le Pont du Canal et celui du barrage. Ces deux passerelles permettaient aux fermiers riverains d’atteindre leurs prairies plus rapidement. C’était l’époque où l’on marchait à pied…. (J.M. Collignon). Cela ferait donc vingt et un ouvrages et dix sites.

                                                          Le pont du canal :

                                                       

                                                        Le canal, le port et le pont de Strouville                                              Sivry vu de la sortie du pont vers 1900

                                                   

                                                                   Sivry vu de la sortie du pont vers 1908                                  Sivry vu de la sortie du pont en 2002

                                                  

                                                                                                                                Le pont du canal avant la guerre 14-18

                                                   

                                                                         La construction par les Allemands du pont provisoire et son essai en charge, vers 1915 

                               

                                                      

                                                 Le pont du Canal vers 1935 et les fêtes sportives de Sivry, puis celui reconstruit après 1945, enfin le pont actuel de 1990

                          

                                                         

   

                                                   Le Barrage et l'écluse :

                                                 

                          

         

 

         Le pont de Dannevoux  

 

                                                      

                           

                                                                                                  

 

Le pont de Dannevoux avant la guerre de 14

 

                                                      

                                                         

Le pont de Dannevoux détruit en 1914 – Passerelles de fortune construites par les Allemands

                                     

                                                     

                                                                                        

         Le pont de Dannevoux reconstruit après la guerre de 39/45 (Pont de type Arromanches)

Observer le développement du camping dans les années 50, les modèles de voitures etc…

 

Le pont du Brouzel

                                                      

Vue du bas du pont du Bief, dans les années 20 à gauche et en 2002, à droite

 

La Chaussée

 

                                                     

                                                                  La chaussée , pendant la guerre de 1914-1918 : Noter les différentes voies provisoires.

                                                                                                                                                                          

 A gauche, la chaussée en 1930 ;  à droite le chantier de reconstruction et un ouvrage provisoire.

                                                     

                            La chaussée en hiver 2002, pendant la construction des nouveaux ponts de Décharge. On peut remarquer les

                           débordements de la Meuse, justifiant l’existence de cette Chaussée. On peut aussi comparer la largeur de la route

                           et son évolution depuis 1930, et même avant, en reprenant les photos du pont du Canal.

 

Le pont de Strouville

                                                                      

                                                                   Vers les années 1900, démoli en 1940                                                              Hiver 2002     

                                                        

    Le pont actuel reconstruit en 1955

 

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