Les Carnets d'Henri BAUDELOT
L'Auteur :
BIEN AIME Nicolas
Les Carnets :
Sivry-sur-Meuse
A une vingtaine de kilomètres au nord de Verdun, dans sa
course vers les Ardennes, la Meuse, étranglée entre les derniers contreforts
de l'Argonne et les Hauts de Meuse, bute sur le pied de ceux-ci,
s'infléchissant vers l'ouest et de ce fait modifie son cours jusqu'alors
Sud-Nord, pour en suivre les pentes. Les Hauts-de-Meuse, les "Côtes" comme
l'on dit dans le pays, forment ainsi une sorte de cirque, entourant la
courbe de la rivière. Au centre se trouve Sivry-sur-Meuse, notre village.
Son origine est très ancienne. S'il est difficile de la dater en raison de
la disparition des archives, tant communales que familiales, il reste
cependant suffisamment de documents anciens ici ou là, pour prouver que
cette origine remonte aux tous premiers siècles de notre histoire. En effet,
non seulement on a retrouvé, lors des reconstructions successives, comme
pendant les labours, des sépultures de l'époque mérovingienne et quantité de
pièces de différents empereurs romains, ces découvertes étant de 1880. Pour
ma part, j'ai trouvé en creusant un jour de ma jeunesse, devant l'église,
deux pièces en bronze que mon Père, qui les collectionnait, me dit dater de
l'an 300, soit sous le règne de Constantin. Au reste, Sivry ne fut-il pas la
réunion de plusieurs villages, au sens de résidences romaines, situées le
long de la voie romaine, dont la route nationale de Mézières à Belfort, qui
traverse le village, suit en grande partie le tracé ? L'édification en 1957
de l'oratoire dédié à sainte Walburge, à la sortie nord du village, n'est,
certes pas, une preuve de l'évangélisation du pays par cette vierge qui
vivait au VIII° siècle. Car, rien dans son histoire, relatée par l'éminent
historien ecclésiastique de Verdun, le Chanoine Souplet, pas plus que dans
le martyrologue de la cour de Rome, dont j'ai pu lire des extraits dans les
bulletins des paroisses de la Région, ne fait allusion à son passage dans
notre village. Sans doute devons-nous de la vénérer plutôt à la piété d'un
ancien seigneur, comte de Chiny, possédant des terres dans le voisinage et
dont un descendant, Alberon de Chiny, fut évêque de Verdun vers l'an 1150.
Celui-ci, en relevant la cathédrale de ses ruines (elle avait été dévastée
en 1047 par le duc de Lorraine, Godefroy le Barbu après un siège mémorable)
dédia une de ses chapelles à sainte Walburge avant d'en propager le culte.
C'est ainsi que la sainte devint la patronne de Soutreville, ou "village
inférieur", séparé alors de Sivry, et que nous connaissons à présent comme
le quartier de Strouville. Par contre, le patron de Sivry est saint Rémi. Sa
présence dans la région est beaucoup plus certaine puisqu'il accompagna
Clovis à Verdun en 502. La plus ancienne chronique, c'est à dire le plus
ancien document écrit qui mentionne Sivry - selon l'histoire de Lorraine -
date de 974. En ce temps-là, pendant la guerre qui opposa Othon II de
Germanie au Roi de France, Lothaire, un certain Comte Sigebert - qu'il
convient de ne pas confondre avec le Maire du palais sous Dagobert - vint,
de nuit, attaquer l'évêque de Verdun, réfugié en son château de Vandersault,
terre voisine de Sivry et dont il ne reste malheureusement au cadastre que
le lieu-dit. Le Comte entoura donc la forteresse, l'assiégea et, en dépit
d'une farouche résistance, s'en empara. Il emmena l'évêque prisonnier pour,
sans doute, le relâcher contre forte rançon. On lit ensuite, toujours dans
le même ouvrage, qu'un mauvais prêtre vint en 1383 occuper de force la cure
de Sivry où il mena une vie de débauche tellement scandaleuse qu'il fut
"cité à comparaitre par devant l'Officialité du Chapitre de la cathédrale de
Verdun". Ce à quoi il se refusa. L'évêque qui était alors seigneur de la
ville, dépêcha ses hommes d'armes qui se saisirent du délinquant et le
traînèrent à Damvillers devant le tribunal qui le condamna à la pendaison au
gibet de Montfaucon. On ne trouve plus trace de Sivry durant toute la
période tumultueuse où ne cessèrent de s'affronter en luttes fratricides,
seigneurs et évêques, comtés et duchés, Bar et Lorraine, avant les guerres
religieuses où catholiques et protestants se disputèrent la contrée. Mais,
dans la célèbre campagne de France de 1793, que l'écrivain allemand bien
connu Goethe, écrivit en 1823, on apprend que le Roi Henri IV coucha à Sivry
dans la nuit du 4 au 5 octobre 1591. Ceci fait naturellement penser que
l'écrivain qui accompagnait les troupes prussiennes, a dû, lui aussi, faire
étape dans le village. Bien que les divers ouvrages historiques écrits sur
le Roi Henri ne fassent pas état du fait ci-dessus, ce qui n'est pas
surprenant car les détails de ce genre n'abondent précisément pas dans le
récit de ses nombreux déplacements, la chose doit être cependant considérée
comme vraisemblable, Henri IV ayant reçu vingt-cinq boîtes de dragées lors
de sa venue à Verdun en 1591 et ce Roi eut fort à faire dans notre région
avec la conspiration du duc de Bouillon et des princes Allemands lesquels,
huguenots, n'admettaient que fort difficilement la conversion du monarque
auquel ils réclamaient le remboursement d'une dette naguère contractée par
lui, dette que les Allemands voulaient encore nous obliger à éponger en
1815. Et puis, il y avait cette irritante question de l'évêché de Strasbourg
disputée à l'évêque Charles de Lorraine par un des fils de l'Electeur de
Brandebourg. Autant de raisons pour que le Roi de France surveille sa
frontière. Donc, on peut imaginer le Roi s'attablant à l'auberge de Sivry et
conviant, selon son habitude, un des habitants à goûter au vin sec du pays,
les Côtes étant à l'époque, couvertes de vignes. Est-ce à ce moment que se
situe le dialogue rapporté par le Chroniqueur De l'Estoile, compagnon fidèle
et historien du Roi ?
".....Brave homme, comment t'appelle-tu ?
- Gaillard, Sire le Roi.
- Gaillard ? Que voici donc un beau nom. Et, puisque tu parais avoir moult intelligence, dis-moi donc la différence qui sépare Gaillard de Paillard ?
- L'homme, d'un revers de main essuya sa moustache, et frappa sur la table en s'écriant : Juste, cette table toutci, Sire le Roi.
- Ventre saintgris, que voila bonne réponse qui prouve l'esprit de nostre peuple. Asseteur en ai bien de la réjouissance".
Si je ne peux garantir l'authenticité de la royale conversation, je peux du moins supposer que c'est de cette époque que demeurent dans le patois local, les mots "toutci" et "Asseteur". En effet, le patois, que tous parlaient encore au village, au temps de mon enfance, n'est plus qu'un souvenir qui s'estompe et s'efface. Les exodes des deux guerres mondiales qui ont éloigné et dispersé la population, les progrès de l'instruction et surtout les facilités de déplacement et de communication, l'ont fait disparaître et c'est bien dommage. S'il n'était pas, à proprement parler, une langue naturellement, ce n'était pas non plus, comme tant d'autres expressions rurales, un français déformé, mais bien un véritable dialecte, réminiscence du passé, mélange de vieux français et de lorrain, peut-être un peu dur à l'oreille dans ses consonances, mais combien savoureux et combien préférable au galimatias prétentieux et stupide que nous dispensent aujourd'hui les ondes.
Mais, reprenons l'histoire du village : Après les guerres de Lorraine, la terrible guerre de trente ans vint achever les destructions et l'épidémie de peste qui ravagea la région, fit de Sivry, en 1636, un désert. En 1679, décède le desservant, curé de la paroisse, Nicolas Martin. Il est inhumé dans l'église. En 1692 c'est un certain De la Vigne, maréchal des logis au régiment de Dragons de M. de Boufflers et un autre soldat "ne sachant ni sa nationalité, ni son nom, ni sa résidence" qui sont enterrés dans le cimetière qui "jouxte l'église". En 1707, un nommé Reidmer "Bavarois de nation, soldat au régiment des bandes à pied de l'armée de Bavière" est, à son tour, inhumé à Sivry. Le registre contrôle de l'évêque Comte de Verdun en 1778 relève encore d'autres décès : En 1713 un soldat - encore un - dit "Lamour" natif de Charleville "sans le connaître autrement". En 1766 Messire Jean-Marie Emond, prêtre et curé de la paroisse, inhumé "sous le Christ du cœur". (Avant 1914 le grand Christ maintenant pendu sur un pilier de la nef, était accroché au centre de la voûte, au-dessus de la table de communion). La Révolution en créant l'Etat-Civil en 1789 allait faire perdre intérêt aux registres paroissiaux.
La richesse de la commune, outre les bois des Hauts de
Meuse (chose curieuse les bois de Sivry sont à Haraumont) et les vastes
prairies des bord de la Meuse, était autrefois constituée par les vignes qui
couvraient les pentes des côtes. En 1811 il s'y fit une récolte si
importante - c'était l'année de la Comète - que la pièce de vin se vendit 15
francs alors qu'en 1846, autre bonne année, il fallut payer la même barrique
70 francs. Le vin, légèrement rosé, sec, un peu dur, connu sous
l'appellation (non contrôlée) de gris, était renommé. Je n'ai naturellement
pas connu le temps où mon Grand-père s'en allait, la houe sur l'épaule et la
hotte au dos, relever la terre de la vigne, après chaque orage. Il fallait
une obstination et un courage que j'admire. Il ne subsiste des anciennes
vignes que quelques banquettes encore visibles sur les collines, des amas de
cailloux dans certains champs et les lieux-dits "la Vigne", "les Vignes
hautes", "les Vignes basses". Les vergers entourant le village étaient
producteurs de fruits, cerises, prunes, mirabelles, pommes et poires qui
jusqu'à la grande guerre de 1914, allaient alimenter les marchés de Verdun.
Je n'ai pas connu le temps des moissons à la faucille, mais tout enfant j'ai
assisté, avant que n'apparaissent les premières moissonneuses tirées par
trois chevaux, à la coupe des épis à la faux, à la confection des liens en
paille pour les gerbes, à l'heureux temps du repas apporté par les femmes,
et pris en commun autour d'une source. Combien de
fois
suis-je rentré juché sur le chariot chargé de gerbes dorées, et accroché à
la perche qui maintenait le chargement. Combien de fois suis-je revenu de la
prairie où nous avions fait tant de culbutes sur les tas de foin, allongé en
haut du chariot sur l'herbe sèche et odorante, bercé par le roulement
cahotant et regardant fuir les nuages blancs sur le ciel bleu. Un immense
damier de couleurs s'étalait dans la plaine et s'étageait vers les hauteurs
couronnées de bois : le vent faisait onduler le jaune des épis, le vert du
trèfle, le mauve de la luzerne comme autant de vagues multicolores. On ne
voit plus, à l'appel du berger communal, se rassembler le troupeau commun,
où deux ou trois chèvres, autant de moutons et une paire de vaches sortaient
de chaque maison pour aller en pâture.
Il est vrai qu'aussitôt la grande guerre, ce ne fut déjà plus comme avant. C'était compréhensible car beaucoup d'enfants du pays étaient restés sur les champs de bataille, et bien des habitants s'étaient établis ailleurs, alors que d'autres, étrangers au village, voire à la région, venaient s'y fixer. Tous durent d'abord relever les ruines, ce qui dura plusieurs années et pendant ce temps s'accommoder de vivre dans les baraques en planche que chacun essaya de rendre plus ou moins confortables, avec l'aide de la Croix-Rouge, du comité des Réfugiés et de dons divers, en attendant que l'administration des Régions Libérées débloque les crédits remboursant les Dommages de guerre. Notre baraque - baptisée "Villa des Ciseaux" - était édifiée dans un petit verger, le long du Bief. Elle avait double cloison sous son toit de carton bitumé et l'intérieur en était tapissé de carton ondulé. Ce n'était pas de trop pour passer l'hiver, car, malgré le poêle à bois, rougi dans son enclos de tôle, le lait, au petit matin, était gelé dans sa casserole. En 1921, on inaugura le Monument aux Morts, sur la nouvelle place, là ou on avait nivelé ce qui avait été un groupe de maisons. Ce fut le Président de la république Raymond Poincaré qui vint à cette occasion, tout simplement, accueilli par un peloton de gendarmes rendant les honneurs et par la musique. Sivry, en effet, avait une musique. Mon Père avait, en créant l'Harmonie à laquelle il se consacra en apprenant le solfège aux exécutants, reprit la tradition, puisqu'au temps de mon arrière Grand-père maternel il y avait déjà eu une Musique à Sivry. En 1925 ce fut la pendaison de crémaillère dans notre maison neuve, "Entre-deux-cours". Durant ces années, toute la jeunesse du village se regroupait les dimanches au sein de la société sportive "la Renaissance". On joua au football, on fit des courses à pied, à vélo, on apprit à nager aux enfants. Ne vit-on pas les "moins de six ans" traverser le canal le jour de cette fête nautique où la musique des Tirailleurs de Verdun vint soutenir nos efforts. On s'entraîna au tir, dans une ancienne tranchée aménagée, cimentée, dotée d'un téléphone de campagne, là-bas, au fond du vallon, au pied de la Grande Montagne. Enfin on joua au tennis. En 1927, la Revue chansonnière, dans l'école transformée en salle de spectacle, avec orchestre, scène, rideau, jeux de lumière et machinerie, où évolua la troupe d'acteurs bénévoles, jeunes filles et jeunes gens soudés par une réelle amitié et un non moins réel esprit d'équipe, donnée à quatre reprises, vu l'affluence des spectateurs, au profit du Timbre antituberculeux, permit à Sivry de se classer en tête du département. Mais, les animateurs se dispersant, l'un après l'autre les groupes se désunirent, et, une à une, les Sociétés disparurent.... Il n'y eut plus personne pour relever le flambeau. Seules subsistèrent l'Amicale des Anciens Combattants (les vrais) et la Compagnie des Sapeurs Pompiers. Cette dernière s'illustra un jour en assurant le sauvetage d'une péniche qui menaçait de couler sur le canal. La seconde guerre mondiale et ses bouleversements achevèrent d'effacer jusqu'aux traces des divers groupements.
L'Auberge familiale
La grande église, au porche précédé d'un large escalier octogonal, encadré de ses deux hauts clochers avait été rebâtie en 1755. Elle s'élevait au bord de la grand' route. De l'autre côté de cette route, et juste en face de l'église, était le "CAFE FRANCAIS" dont l'enseigne se complétait par l'inscription "LOGE A PIED ET A CHEVAL" sous une branche de sapin se balançant au vent. Bien des fois, dans mon enfance, j'ai rêvé devant cette enseigne. Je ne comprenais pas, en effet, que si on logeait à pied et à cheval, on ne logeait pas aussi "en voiture" car nombreux étaient les voyageurs y arrêtant leur véhicule. On m'expliqua que les voitures étant nécessairement attelées de chevaux et que, du moment qu'il était écrit "on loge à cheval" point n'était besoin d'allonger inutilement l'enseigne, et je dus me contenter de cette déclaration, n'ayant d'ailleurs pas trouvé d'autre raison. C'était une petite auberge dont mes arrières grands-parents maternels étaient les propriétaires depuis 1834. Elle avait donc connu le temps des malles-poste et des diligences dont elle était alors un relai. D'une famille de neuf enfants, ma mère, suivant en cela les traces de sa sœur ainée, en était partie très jeune pour, tout en continuant des études trop sommaires auprès des bonnes sœurs du village, entreprendre ce qui à l'époque pouvait être considéré comme un périple européen, entreprendre le circuit qui, de Virton la mena à Lisbonne en passant par Nuremberg. Au reste, les autres membres de la famille, se dispersèrent ou disparurent, de sorte qu'à l'époque de mon enfance, il ne subsistait plus que mon grand-père et une autre sœur de Maman, notre tante Lucie que j'appelais Tutie. Veuve depuis un certain nombre d'années, ma tante élevait encore un de mes cousins, "le Georges" orphelin de bonne heure. Une petite chienne, noire, au poil ras, portant un collier de cuir rouge où pendait une minuscule clochette, et qu'on appelait "My Dear" complétait ce qui restait de la famille. C'est dans ce milieu, qu'entouré d'affection, j'allais passer la plus grande partie de mes années d'enfance. Ma santé était alors délicate, mon frère et ma sœur, étaient mots en bas-âge et après de multiples et infructueux essais de nourrices ou de bonnes d'enfants, mes parents avaient jugé meilleur de me laisser "au grand air" et aux soins de ma tante. J'ai donc de cette petite auberge des souvenirs nombreux et précis. On entrait par une porte vitrée, dont l'encadrement était souligné de carreaux colorés en bleu, avec, à chaque coin, un carré rouge, directement dans la grande salle, éclairée par ailleurs d'une haute fenêtre. Le plafond enfumé, dont les solives étaient apparentes et auxquelles étaient suspendue "l'écorbe" où achevait de sécher un jambon auparavant fumé dans la cheminée, la table oblongue de chêne nu -on ne connaissait pas encore la toile cirée, où trônait la soupière de faïence blanche décorée de fleurs peintes, timbrée au nom de mon bisaïeul "Wetzel", encadrée de deux bancs de bois, cirés par l'usage, en constituaient le décor que je me rappelle si bien. Il était complété, au fond par le manteau de la grande cheminée lorraine, bordé d'une étoffe brodée, au-dessus de l'âtre. Entre les flammes, on apercevait la large plaque de fonte, la "taque", les buches de bois reposaient sur les chenets aux têtes de bonne femme. Sur les braises, on entendait mijoter le contenu du "coquemard" à pieds pendant qu'au-dessus, pendu par son anse, aux dents du "cramaïl" un chaudron laissait fuser une légère vapeur sous son gros couvercle. Car c'est ainsi que ma tante préparait la cuisine pour nous trois, comme pour les voyageurs de passage. Sur chacun des murs latéraux s'ouvraient, à droite le placard de la verrerie et à gauche, vitré, un autre laissant apercevoir les assiettes à coq ou à bouquets, rangées debout, comme sur un dressoir. Et, auprès de la porte, s'étageaient, chacun pendu à un clou, toute la série des mesures en étain, de la "rincette" au "demi-setier". Que de fois, assis sur l'un des bancs, auprès de la table où j'étalais les vieux dominos jaunis, ai-je vu ma Tante, sortir du placard le litre de goutte, et remplir soigneusement la rincette, avant d'en verser le liquide dans l'épais verre côtelé que buvait d'un trait le charpentier ou le maréchal-ferrant. Quand aux voyageurs, pour la plupart des représentants de commerce, ils arrivaient dans leur petit break à quatre roues, sous la capote de cuir précédent la longue caisse, d'où ils tiraient les mallettes noires et plates de leur collection, pendant que mon cousin dételait et conduisait le cheval à l'écurie pour lui donner la "raffourée" c'est à dire la pitance. Lorsque ce passager était connu, qu'il était un habitué, il prenait son repas avec nous, racontant les nouvelles des villages d'alentour. Mais, si nos voyageurs étaient plusieurs, ils allaient manger dans la petite salle attenante, autour de la table ronde qu'on couvrait alors d'une nappe bien blanche. Au fond de notre grande salle, s'ouvrait une sorte de petit couloir donnant accès aux larges degrés de bois de l'escalier menant aux étages. Tout contre, il y avait le bûcher, puis la porte de l'écurie qu'il fallait traverser pour suivre un autre couloir conduisant à la "chambre à four" puis au jardin. Dans ce couloir, une porte laissait entrer dans la chambre de ma Tante et de mon cousin. Mon grand-père, lui, dormait dans l'alcôve qui occupait tout le mur du fond, tandis qu'en face, un grand poêle de fonte se dressait dans la niche creusée dans la muraille. En montant le grand escalier, on arrivait sur un palier dont le plancher de bois avait été refait par mon aïeul. Les lames de bois formaient des carrés parfaitement encastrés. Sur ce palier, sans porte aucune, s'ouvrait la "Salle de Billard" éclairée de trois fenêtres donnant sur la route. Le billard, solennel et bien encombrant, occupait le centre de la salle. Tout autour, de petites tables de bois, rondes ou rectangulaires et de nombreuses chaises cannelées permettaient aux clients du dimanche, ou des jours de foire qui les rassemblaient plus nombreux encore, de s'asseoir en fumant leur pipe, en jouant d'interminables parties de cartes, de manille ou d'écarté, et surtout de déguster à petites gorgées, l'absinthe dans les hauts et étroits verres à pied. Et c'était tout un rite. De curieuses petites cuillers plates, ajourées de fentes, posées en équilibre sur le bord des verres, remplis jusqu'au quart du liquide odorant et jaunâtre, recevaient un morceau de sucre sur lequel le consommateur faisait lentement couler l'eau de la carafe. Les connaisseurs disaient qu'il convenait de doser savamment le mélange. Il me souvient que j'attendais patiemment avec mon cousin, le départ des clients du dimanche pour aller subrepticement sucer le fond des verres. Oh hygiène ! ce que nous ne pouvions pas faire, hélas, les jours de foire, vu l'affluence sans cesse renouvelée et le départ par trop tardif des consommateurs. Souvent, la salle, dans le brouillard de la fumée des pipes ou cigarettes roulées, retentissait des conversations animées, plus encore des discussions orageuses où chacun s'accusait, avec force coups de poings sur les tables, de s'être défaussé d'un atout ou d'avoir malencontreusement jeté le manillon. Pendant qu'autour du billard, les queues heurtaient les boules d'ivoire parmi les exclamations et les jurons, au milieu du cercle trop serré des admirateurs. Dans ce brouhaha, tout ce que nous pouvions faire c'était d'essayer de pousser les petites pastilles de bois coloré, sur le tableau pendu au mur et ainsi de fausser les résultats des points marqués. ce qui donnait lieu à de sonores mécontentements dont nous nous amusions beaucoup. La grande cheminée traversait cette salle, sur un côté. Sur une de ses faces il existait une large trappe. C'est par cette trappe qu'à la Saint-Nicolas, le grand-père laissait tomber dans les cendres de l'âtre, oranges et bonbons à notre intention. Il se réjouissait tant de notre émerveillement devant ces gâteries venues, sans conteste, directement du ciel. Tout au fond de la salle de billard s'ouvrait une porte à deux battants, sur la "Salle de Danse". S'il n'existait pas alors au village, de salle des Fêtes, si les bals n'étaient pas aussi fréquents que de nos jours, les occasions de danser n'étaient cependant pas aussi rares qu'on pourrait le croire, mariages, foires, fêtes, patronale, Sainte-Catherine, départ des conscrits, etc....Donc, lorsqu'il y avait bal, les musiciens prenaient place sur une longue et étroite estrade en bois, fabriquée, elle aussi, par mon grand-père. dessous on y rangeait les balais. Généralement, la musique comprenait un piston, une clarinette et une basse. Les jours fastes, on ajoutait le violoneux. Valses, polkas et "masurkes" se succédaient, rythmées par le violon criard ou le piston qui, à petits coups de langue, égrenait un chapelet de notes sautillantes, pendant que la clarinette nasillarde essayait de suivre les pom-poms de la basse. Mais dominait le bruit sourd des pas lourds des danseurs. Parfois la "mélodie" s'arrêtait net, on n'entendait plus que la basse. A d'autres moments, il n'y avait plus de basse. les musiciens se rafraîchissaient, buvant, à même le goulot de la bouteille, une gorgée de bière. Puis, chacun reprenait sa partie avec plus d'ardeur, mais souvent à contretemps. Cela n'avait aucune importance, les couples continuaient de tourner. Ces jours-là, je n'attendais pas la "danse du balai" où tenant cet ustensile par le manche, un danseur frappait, de temps à autre et à son gré, le sol, faisant changer les danseuses de partenaire. Ni celle du "tapis" tapis de cartes que, tous formant le cercle, le porteur allait étendre devant la danseuse de son choix, évidemment une jeune, et si possible, jolie. Il s'y agenouillait. Elle en faisait autant. Et c'était le baiser, parfois prolongé. On m'emmenait au lit. Je couchais, dans la seule chambre de l'étage et c'est, "bercé" par la musique que, les paupières lourdes, je m'endormais. Sur le palier, continuait l'escalier conduisant aux chambres du second étage, réservées aux passagers. j'en vois encore les parquets cirés, tout reluisants sous les rayons du soleil pénétrant par les petites fenêtres et sur lesquels s'étalaient les petites carpettes rondes de laine multicolore, devant un fauteuil à franges, au dos orné d'une dentelle au crochet ou devant les lits de plumes, si hauts, recouverts d'une courtine de reps couronnée de l'énorme édredon rose ou bleu ciel.
J'ai le souvenir vivace de ce jour de Pâques, où dans la
grande pièce du bas, mon grand-père me prit dans ses bras, tout contre la
porte vitrée. Nous guettions le retour des cloches. Mon aïeul me rendit
attentif : "Tu vas voir". Le nez aplati contre le carreau, les yeux
écarquillés je regardais. Il savait si bien s'exclamer "Oh, en voilà une,
qu'en fixant la petite ouverture striée des volets de bois, des abat-sons,
en haut du clocher au-dessus de l'horloge, je croyais bien avoir vu quelque
chose. Détournant un instant mon regard sur une mouche qui venait de se
poser sur la vitre, mon grand-père continuait : "En voilà une autre qui
revient de Rome en traînant ses ailes fatiguées". J'étais persuadé que
c'était vrai . Lorsque les trois cloches, car, à Sivry, nous en avions
trois, et dame, en face de l'église, nous étions placés pour en reconnaître
le son, étaient ainsi supposées revenues, mon grand-père me posait à terre
et vite, de toutes mes petites jambes, je courais au jardin, où sous les
groseilliers, je découvrais le petit sac de friandises rapporté par les
cloches.
Les années passaient, mon grand-père s'en alla, ma tante fit de malheureuses affaires et mes Parents durent se résoudre, à la veille même de la guerre, à vendre l'auberge. mais celle-ci, ruinée en 1918, fut relevée et conserva longtemps encore son enseigne de CAFE FRANCAIS. Maintenant complètement transformée, elle n'est plus le berceau de mes souvenirs. Quand à notre petite chienne avec laquelle j'ai tant de fois joué, cette intelligente petite bête, lorsque je dus quitter Sivry pour renter à Paris, happa mes chaussettes qu'elle alla cacher dans sa panette, se refusant de s'en séparer. C'est avec joie qu'elle me retrouva dans la grande ville, ce jour d'août 1914, où ma tante l'amena à la maison, puisqu'elle avait du évacuer le village. Et c'est avec tristesse qu'à dix sept ans, au moment de m'engager, je dus faire piquer la pauvre petite chienne que la vieillesse avait rendu percluse. Nous avions alors le même âge.
La petite maison
Mon grand-père maternel, Jean-Nicolas BIENAIME, de son métier aubergiste,
après avoir été vigneron comme bien des anciens du pays, était aussi
menuisier, voire ébéniste, car il savait travailler le bois et était très
adroit. C'est lui qui avait façonné bien des meubles, tables, armoires ou
placards de l'auberge familiale. Depuis bien des années, il avait songé à
finir ses jours ailleurs que dans ce café Français constamment soumis au va
et vient sinon des voyageurs, (il n'y en avait guère qu'un ou deux par
semaine) du moins de tous ces gens qui partant aux champs ou au travail
venaient de bon matin prendre le traditionnel verre de blanc ou la
"rincette" de goutte pour recommencer le soir en rentrant. Grand-père
s'était donc rendu acquéreur d'une petite maison, sise sur la grand route, à
deux pas du café et avait entrepris de la rénover complètement, construisant
lui même l'escalier aux marches et à la rampe ajourée de chêne qui devaient
faire l'admiration de mon Père. Ceci se passait, tout au début du siècle.
Malheureusement, Grand-père n'allait pas profiter de la petite maison, car
il mourut en 1908 alors que nous étions à Paris. Après la disparition de
Grand-père, ma Tante, à l'auberge, ne sut pas conduire ses affaires comme il
eut convenu et mon Père à qui elle dut faire appel, décida de vendre le café
Français. Des relations mirent ma famille en rapport avec des acheteurs,
déjà cafetiers dans un village voisin "de l'autre côté de la côte" et Tante
quitta définitivement l'auberge familiale. Mais comme "la petite
maison" n'était pas terminée et que mon père avait résolu de continuer les
travaux, nous dûmes, aux vacances nous contenter d'une autre habitation, au
coin de la Grand'rue et du chemin de la Chaudoie. Cette nouvelle demeure
était bien vieille, sombre et pleine de racoins, ce qui nous amusa fort, le
confort pour nous consistant surtout à aller jouer dehors. Ce provisoire ne
dure guère car l'année suivante la "petite maison" était prête à nous
recevoir. Si nous n'avions pas d'eau, le village n'ayant pas d'installation
de distribution avant la grande guerre, nous avions l'électricité. Il me
souvient qu'au début, en fait de lumière, c'était plutôt maigre, les
filaments des ampoules se contentant de rougir. Il est vrai, qu'à ce moment,
il s'agissait d'essais au Moulin de Sivry, dont la chute d'eau devait
alimenter une petite turbine. L'ensemble du système s'avéra très rapidement
insuffisant. Et alors, la source d'énergie fut transférée à Vilosnes dont
les turbines de l'usine recevaient la chute des eaux d'un bras de la Meuse
canalisée dont le débit assura un fonctionnement à peu près régulier, sauf
en cas de crue lorsque les herbes venaient s'amasser sur les turbines pour
parfois les bloquer. Mais, nous nous contentions naturellement d'un
éclairage trouvé magnifique et surtout inodore auprès d'antiques lampes à
pétrole et nous appréciâmes ce courant bénéfique, fut-il intermittent. Donc,
la "petite maison" nous accueillit derrière sa petite cour, baptisée
"jardinet" séparée de la Grand'rue par une murette surmontée d'une grille.
D'un côté, celui de l'école, il y avait à l'époque, une ancienne maison de
culture. C'était celle du Père JAILLIER, un vieil homme qui ne sortait
guère. Il avait loué une partie de son habitation à une vieille femme, la
mère PLATEL. Celle-ci pour arrondir ses maigres rentes prenait en pension
des enfants de l'hospice de Verdun. A ce moment c'étaient deux garçons qui
devinrent vite nos petits camarades. Mais, entrons dans la "petite maison" :
Sitôt la porte ouverte on pénétrait dans un couloir conduisant à la cuisine
et au jardin derrière. A droite s'ouvraient les portes d'une pièce où il y
avait une haute et large cheminée lorraine au manteau bordé d'une bande
d'étoffe brodée, et de la salle à manger. A gauche, les W.C, une nouveauté
et vraiment un luxe à l'époque, l'eau étant fournie par le puits situé sous
la cour et une petite pompe électrique, la porte de la cave où on accédait
par un escalier assez raide. Ensuite, le couloir donnait sur la cage de
l'escalier éclairée tout en haut par un grand vitrage. On montait à l'étage
où étaient les chambres, deux grandes et deux petites et au-dessus, le
grenier où s'ouvraient encore deux petites chambres mansardées. Elles ne
servaient d'ailleurs qu'aux grandes vacances lorsque toute la famille était
réunie. C'est ainsi qu'en 1912 ou 1913 je ne sais plus très bien, outre ma
Tante Lucie, mes Parents, mon Oncle et ma Tante, ma cousine, mon cousin et
moi, nous comptions encore mon petit cousin Jacques, son Père et sa Mère et
leurs beaux-parents pour compléter cette "maisonnée". C'est en
tout cas cette année là qu'un beau matin nous entendîmes grand vacarme : la
belle-maman de mon Oncle venait de disparaitre en poussant de grands cris :
elle avait confondu la porte des W.C avec celle de la cave et y était
tombée. Malgré son âge cette pauvre personne eut plus de peur que de mal, le
médecin sitôt requis n'ayant constaté que des ecchymoses. Mais son séjour
fut écourté car mon petit cousin, ses parents, la victime et son mari,
reprirent bien vite le chemin de la Capitale, maudissant "les traquenards
des maisons paysannes". La pauvre maison n'avait pas cette ambition car si
elle avait été un piège peut-être aurait-elle pu retenir ma jeunesse et
aurait-elle pu se défendre lorsqu'elle fut violée et asservie quatre ans
durant avant de disparaitre dans les décombres accumulés par une rage
destructrice.
L'Eglise
Au temps de mes jeunes années, je ne m'intéressais guère aux constructions. Leur histoire comme leur structure me laissèrent indifférent, jusqu'à ce que mes études m'inculquent les premières notions de l'art. J'allais, dès le lycée, les développer par goût plutôt que par la contrainte des leçons, retenu davantage par la beauté que par la technique. En parcourant les livres illustrés de notre bibliothèque avant que nos promenades d'hiver nous fassent pénétrer monuments et musées, je fus séduit par le travail de l'homme, admirant surtout les intentions, les efforts avant de m'extasier devant les résultats. C'est ainsi que j'appris à savoir apprécier, sans aller jusqu'à l'enthousiasme affecté de snobisme, les œuvres qui font la richesse de notre patrimoine, peintres ou sculpteurs, bâtisseurs ou maîtres-artisans et que naquit mon amour des vieilles pierres. J'ai dit, précédemment, lorsque j'ai parlé de l'auberge familiale, qu'en raison de sa situation, face à l'église, j'avais eu tout le loisir de contempler celle-ci, dès ma plus tendre enfance. Lorsque, chaque année, je revenais au village, j'étais tellement heureux d'apercevoir les flèches des deux clochers se découper sur l'horizon, que je suis certain de voir leur silhouette se détacher sur le fond de mes souvenirs.
Or, de l'église de Sivry, ca qui m'avait d'abord frappé c'était sa lourde masse : En effet, son portail à la haute porte arrondie, en vieux chêne aux panneaux cloutés sur les deux vantaux, était surmonté d'un fronton légèrement courbé avec, au milieu, une petite niche abritant la statuette du Saint Patron , Saint Rémi. On y accédait par un large escalier de pierre aux douze marches disposées en arc brisé, en une série de polygones étagés et se rétrécissant du bas vers le haut ce qui donnait à l'ensemble un curieux aspect à la fois d'élégance et de solide assise. Cette façade s'élevait en pignon pointu, éclairée seulement de deux bizarres fenêtres rondes aux vitraux multicolores et était aussi haute que les deux clochers carrés et imposants entre leurs contreforts aux gros blocs de pierres taillées, dont seules les deux flèches effilées dépassaient le toit de la nef, luisantes de leurs ardoises bleues. Le clocher de droite, seul, était surmonté d'une haute et fière croix de fer, à l'extrémité de laquelle reposait le coq, le "cobia" servant de girouette. En haut de la maçonnerie de chaque clocher et sur chacune de ses faces, une lucarne arrondie avec en travers les abat-sons, d'où s'échappaient les vibrations répercutées en ondes sonores à chaque sonnerie du clocher. (En face, au Café, nous en savions quelque chose !) En bas, à hauteur du soubassement, d'étroites petites meurtrières arrondies servaient d'aération et de bien autre chose. ceci me rappelle en effet un certain après-midi de ma jeunesse où je ne sais plus lequel d'entre nous avait eu l'idée d'introduire dans l'une de ces meurtrières un long bâton ce qui avait dérangé les guêpes qui avaient élu domicile dans le clocher. Aussitôt nous décidâmes d'en détruire le nid. Les plus grands de notre bande se procurèrent donc papier paille et allumettes et tous de confectionner des boules, des bouchons qu'on ficela à l'extrémité du fameux bâton. On "bouta" le feu et on plongea l'engin bien au fond de l'ouverture. Arriva ce qui devait arriver : l'essaim rendu furieux sortit en vagues serrées se lançant à l'assaut des frimousses des assaillants. nous nous dispersâmes, mais je ne fus pas assez rapide : j'eus droit à une piqure soignée, en plein sur la lèvre. je me sauvais en hurlant et sitôt ma douleur un peu calmée, il me fallut subir une algarade bien sentie : "Pensez-donc, on avait voulu mettre le feu à l'église ".
L'histoire de l'église est, en gros, celle du village;
Après les ruines qu'accumulèrent dans la région les luttes qui opposèrent
les Lorrains , soit entre eux soit contre leurs voisins en raison des
querelles de religion ou de vassalité, et les ravages de la terrible guerre
de Trente ans comme les épidémies dévastatrices, Sivry nous l'avons vu,
devint un désert. Il faut bien supposer que, les habitations détruites,
l'église ne fut pas épargnée puisqu'on la reconstruit en 1756. Mais
auparavant de quand datait-elle ? L'aspect de ses soubassements comme
l'importance de ses murs si hauts et si épais fait apparaitre comme
vraisemblable que la reconstruction utilisa ses fondations, et très
probablement suivit le même plan. L'église, donc, existait déjà au XIV°
siècle puisque l'Histoire relate les démêlées du Curé d'alors avec l'évêque
de Verdun en 1383. A cette époque, car nous ne remonterons pas plus loin,
les églises des premiers siècles n'étaient que des chapelles ou de simples
hangars de bois, à de rares exceptions près, l'église de Sivry ne devait
avoir qu'un seul clocher. La forme carrée l'apparentant aux tours de guet
des monuments fortifiés analogues qui subsistent à Dun, Dugny ou Woël, avec
le couronnement en hourdis de bois. Le but initial du clocher était bien
alors d'être une sentinelle signalant l'approche du danger, la nef étant le
refuge de la population, avant que les châteaux-forts ne jouent ce rôle. Ce
n'est que bien plus tard que le clocher allait servir de repère aux
travailleurs éloignés dans les champs et de guide aux voyageurs.
L'adjonction d'un second clocher n'a du se faire qu'au moment où la paroisse
prit de l'importance -ce qui est déjà prouvé par la grandeur de la nef -
c'est à dire au moment où l'abbé Curé devint dignitaire du chapitre, sinon
de la cathédrale de Verdun, du moins d'une abbatiale voisine, probablement
Montfaucon et, de ce fait, fut chanoine. La coutume voulait en effet à cette
époque, que l'église en cause se distingue des autres. Or, Sivry, était
avant la Révolution, une prévôté dont la juridiction s'étendait sur huit
communes d'alentour. Et, alentour, aucune église n'a d'importance semblable.
La guerre de 14-18 a laissé, une nouvelle fois, l'église dévastée : sous le
bombardement qui allait mettre fin à une occupation de quatre ans, durant
laquelle le bâtiment servit de magasin, la moitié de la toiture de la nef
s'était effondrée jusqu'au chœur, renversant les piliers de pierre, la
façade était trouée par les obus, la charpente du clocher de droite ayant
brulé avait provoqué la chute de la flèche et le clocher de gauche, fendu du
haut en bas, par une énorme fissure, béait d'un grand trou à la base. Les
cloches -il y en avait trois, comme aujourd'hui- la grosse, la moyenne et la
petite, se trouvaient en haut du clocher de droite, au-dessus de la grande
horloge au double cadran carré, l'un en façade, c'est à dire côté ouest,
l'autre latéral, côté sud. Les cloches donc avaient disparu, démontées par
l'occupant, elles étaient parties, comme toutes les cloches des églises de
la région, vers les fonderies de la Sarre ou de la Ruhr. La grande porte de
chêne avait été démolie après avoir été forcée et l'entrée ne donnait plus
que sur le vide. Elle était encombrée de pierres écroulées, de gravats et de
débris divers qu'il valait mieux utiliser l'une des petites portes latérales
si l'on voulait entrer dans l'église. Ces portes, évidemment démolies, elles
aussi, avaient été doubles, constituant ainsi un "tambour". Il me souvient,
lorsque j'étais petit, avoir vainement cherché entre
les deux portes, et
même derrière, où pouvait se cacher ce maudit tambour "qu'il ne fallait pas
claquer ". Lorsque fin 1918, au cours d'une courte permission obtenue pour
revenir au village constater les ruines de notre petite maison, je pénétrais
dans l'église, ou plutôt dans cette enceinte que formaient les murs en
grande partie restés debout malgré leurs trous et qui ressemblait à rien
d'autre qu'une vaste grange démolie, je ressentis une peine profonde : on
marchait, en enjambant les décombres, sur un tas de petits morceaux de verre
coloré, sur ce qui restait d'anciens et beaux vitraux, les vieux bancs de
chêne où tant de générations s'étaient assises et agenouillées n'étaient
plus là, la chaire à prêches était détruite, comme les six hautes colonnes
rondes supportant la voûte. Seuls demeuraient trapus sur leur masse les deux
piliers carrés entre lesquels s'ouvrait le chœur. Les pierres des autels
latéraux étaient brisées, le grand autel dépouillé de tout ornement, privé
du tabernacle offrait aux regards les cassures multiples dues à la
projection des éclats, et il était impossible, tant la couche de débris
était épaisse, d'apercevoir les dalles de pierre qui autrefois recouvraient
le sol. Bien entendu il n'y avait plus aucune statue, aucune image, aucun
tableau du Chemin de Croix. J'entrepris de monter à la tribune de l'orgue
dont il ne restait plus, pendant dans le vide, que deux tuyaux d'étain, tous
les autres ayant suivi les cloches dans leur involontaire exode. Avec bien
du mal je montais ou j'escaladais ce qui demeurait de l'escalier de bois et,
arrivais sur le palier où tant de fois j'avais accompagné mon grand cousin
lorsque c'était son tour de "faire marcher le soufflet". Cela consistait, je
me rappelle, à monter sur une sorte d'énorme pédale qui, sous le poids
s'abaissait. Il fallait alors monter sur une seconde tout à côté et pendant
que celle-ci descendait, la première remontait. C'était, bien sûr, difficile
et bien irrégulier, provoquant quelques manques dans le souffle parcourant
les tuyaux, mais le vieil abbé qui, avant guerre, était l'organiste attitré,
s'en contentait. D'ailleurs il ne s'agissait pas, pendant les offices, de
faire de la grande musique. Hélas, là non plus, il n'y avait plus rien :
tuyaux, claviers, mécanisme, tout était démoli, brisé ou enlevé. de là-haut,
je me tournais vers le chœur. C'est alors que j'aperçus, se détachant
sur les ouvertures béantes des vitraux disparus, sur la grisaille des murs,
le grand christ pendu à la voûte centrale. La croix de bois avait disparu,
elle aussi, comme l'arabesque de fer forgé dont les volutes soutenaient les
pieds du supplicié et prenaient appui sur les gros piliers. Comment ce
christ n'était-il pas tombé et restait-il là, seul témoin d'un tel désastre,
et d'une telle folie humaine ? On a reconstruit l'église encore une fois.
Et, évidemment, sur le plan de la précédente. Il y a donc trois nefs, une
principale, centrale, et de chaque côté ou bas-côté, une petite ou latérale.
Toutes les trois sont voutées puisque le style, ou du moins la construction
en gros a le caractère roman. Mais pourquoi n'a-t-on pas laissé le christ à
sa place. Il avait pourtant su la garder. Et pourquoi ne pas avoir conservé
le curieux escalier du portail pour le remplacer par une double évolution
prétentieuse. Pourquoi aussi avoir remplacé les deux bizarres petites
fenêtres rondes de la façade, restées intactes, par de hautes fenêtres qui
la défigurent. Enfin, pourquoi avoir voulu singer la ville en infligeant aux
fidèles l'obligation de rentrer leur Prie-Dieu au siège de paille mobile et
d'avoir ainsi transformé le caractère de notre église, si fière naguère de
ses vieux bancs pourtant confortables, avec tous ces rangs de chaises sans
cesse dérangées, sans cesse bruyantes ? La seconde guerre mondiale, avec les
explosions des bombes lancées par les avions ennemis en 1940, détruisit
encore les vitraux, mais ne provoqua pas, heureusement, de dégâts majeurs à
la construction, si la toiture fut endommagée cependant. On répara,
évidemment, mais pourquoi a-t-on jugé inutile de refaire le vitrail des
Anciens Combattants qui représentait une vue ancienne de Sivry ? Il y aurait
tant à dire sur l'aménagement de notre église que je préfère en ressortir et
en faire le tour : Longeons le petit mur de soutènement du terre plein de
l'ancien cimetière qui, jadis, comme dans presque tous les villages de
France, entourait l'église. C'est la route de la Chaudoie. Au temps
d'avant-guerre, au temps où notre "cousin" Albert, était maire - nous étions
encore au Café Français- cette route n'était qu'un chemin qui contournait
ce
mur dont l'alignement d'alors laissait beaucoup à désirer. Il fut décidé
d'élargir ce chemin et en même temps de le redresser. Pour ce faire, les
ouvriers durent abattre le mur pour le rétablir plus en arrière. Ce faisant,
ils mirent à jour de nombreux ossements et vinrent à l'Auberge demander une
grande caisse à mon Grand-père, afin de pouvoir procéder à une réinhumation
décente dans le nouveau cimetière. Si l'herbe a repoussé à présent sur le
terre-plein, il reste encore, ça et là, sur les pierres de soubassement de
la nef de l'église quelques lettres, quelques signes, derniers vestiges
d'anciennes épitaphes. A hauteur de la sacristie, le terre-plein a disparu,
car on a installe dessous, la chaufferie du chauffage central. Derrière le
chœur, autour de l'abside, le mur se perd dans la pente du terrain qui
remonte et, aplani, entre le côté gauche de la nef et le presbytère, forme
maintenant un parking. C'est donc sur cette placette que donnait l'ancien
presbytère dont la construction datait de celle de l'église, soit du XVIII°
siècle. Son large couloir dallé, ses hautes salles aux fenêtres donnant sur
un jardin parfaitement entretenu, faisaient mon admiration lorsqu'aux
vacances j'y venais, chaque matin, prendre ma leçon de latin. Le manque
d'entretien, la négligence, l'incurie ont été tels que le vénéré desservant
disparu, ses successeurs l'ont trouvé trop délabré pour y séjourner. Et
c'est regrettable à plusieurs points de vue. D'abord la population a
l'impression d'être abandonnée, car ce n'est pas seulement par l'office
dominical qu'on "dialogue" avec un prêtre, les vieillards, les malades
aimeraient davantage de sollicitude qu'une simple visite annuelle intéressée
et ce n'est pas en réduisant les séances de catéchisme à un trop pauvre
minimum, auquel le plus souvent on n'assiste pas, qu'on parviendra à
inculquer aux jeunes le respect et l'amour de leur prochain, ou tout simplement de Dieu. Que
dire des changements, des bouleversements qui se succèdent à la fois dans
les rites comme dans la croyance elle-même, au point qu'il faut avoir une
Foi bien ancrée pour accepter délibérément tout ce qu'un prétendu modernisme
invente. Certes, ce n'est pas parce que la Chaire à prêcher a disparu, bien
que son remplacement par un affreux micro dénature le lieu, ou que la table
de communion est devenue inutile, après le confessionnal, qu'on renoncera à
la croyance. Mais tout de même, il y a des limites (je suis tenté d'écrire,
à la bêtise). Ces offices expédiés dans le moindre temps, commentés par un
laïque dont la présence auprès de l'autel est parfaitement inutile,
l'absence de tout décorum prête sans doute à moindre critique, quoiqu'un
minimum devrait s'imposer ne serait-ce que le Suisse de notre enfance, qui
savait faire régner le silence dans nos rangs. Et ce n'est pas parce que les
gendarmes et les policiers ont tendance à tutoyer les interpellés, qu'il
nous faut, nous, tutoyer Dieu. On veut revenir aux temps des Catacombes ? Je
veux bien, mais alors, descendons dans une crypte ou réunissons nous dans
une grange et non dans "la maison du Père". Ou bien supprimons ce qui reste
de statues, d'ailleurs d'un art discutable, enlevons les lustres, l'orgue
et, pourquoi pas, ces horribles chaises. Nous aurons ainsi une église
parfaitement dépouillée et complètement nue qui, d'accueillante sera devenue
glaciale malgré son chauffage. Est-ce tout cela qui ramènera dans nos
églises, tous ces prêtres égarés en ville, chercheurs de soi-disant
disciplines au demeurant bien difficilement explicables à défaut d'être
compréhensives, assoiffés de publicité et de micro, et auxquels il est bien
malheureux que les pauvres ouailles ne puissent répondre. Ne trouvez-vous
pas que jadis le pain béni nous faisait réellement participer et que notre
recueillement pour être sincère n'avait nullement besoin de la traduction du
Gloria ou du Credo pour inspirer notre commune prière. Il y avait, je crois,
dans l'Eglise autre chose à réformer, que de déformer notre église.
Le cimetière :
Ecrire sur un cimetière peut paraître un étrange sujet. Mais lorsqu'on a entrepris, au travers de ses souvenirs d'enfance et d'une grande partie de son existence, de parler d'un village, peut-on omettre d'évoquer Ceux qui nous ont précédé et qui ont fait en quelque sorte son histoire ? Et, le lieu où ils reposent s'intègre tellement dans la vie coutumière qui l'entoure qu'on ne peut le passer sous silence. Cimetière - Le champ du repos - Autrefois, il y a bien longtemps, dans la lointaine antiquité, chez les Grecs comme chez les Romains, voire même chez les peuples d'Orient, le mot de Cimetière désignait primitivement dans l'habitation l'endroit où l'on dormait. ce n'est que beaucoup plus tard que ce mot acquit la signification de lieu où l'on enterre les Morts. Lorsque se répandit le Christianisme et qu'à l'emplacement des temples païens commencèrent à s'élever des églises, d'abord simples chapelles de bois, puis modestes constructions de pierres, bientôt agrandies et multipliées quand se groupèrent les anciennes villas, sous l'impulsion des moines, car nombreux furent les monastères dans la région - ils étaient plus de deux cents sous le règne de Clovis - on prit l'habitude d'ensevelir en "terre bénie", c'est à dire à l'ombre de la "Maison de Dieu". Les tombes se groupèrent donc autour de chaque église, tout au moins celles du peuple, car dans les villes, les bourgades ou les "communautés" dépendant d'un Seigneur local, celui-ci choisissait généralement de se faire inhumer à l'intérieur de l'église afin d'être ainsi "plus près de Dieu". Sans parler des tombaux plus ou moins richement sculptés que de talentueux artistes ont élevé aux personnalités ou célébrités dans les cryptes de nos cathédrales ou les absides de sanctuaires plus modestes, les tombes ouvertes à l'intérieur étaient recouvertes d'une dalle funéraire sur lesquelles les pas des fidèles n'ont point réussi au courant des siècles, à effacer les inscriptions ou les dessins retraçant les traits des défunts gravés dans la pierre. D'ailleurs, dans beaucoup d'endroits, on a profité des réfections ou des reconstructions pour relever ces dalles et les dresser contre les murs, les mettant ainsi à l'abri de l'usure et des détériorations tout en permettant de mieux les déchiffrer ou d'en admirer la facture parfois naïve, mais le plus souvent remarquable. Bien entendu, l'exiguïté de la plupart des cimetières entourant les églises, ne permettait guère l'érection de monuments et rares étaient les dalles lorsque les tombes se trouvaient rapprochées et même jointives. Alors une simple croix de bois, généralement décoré, ou de pierre taillée sans autre ornement marquait les sépultures. Celles qui avaient eu de la chance de se trouver le long des murs de l'église avaient pu permettre une gravure grossière du soubassement où l'on distinguait des initiales, rarement une date, ou de petites croix creusées dans la pierre. Et, lorsqu'on avait procédé à plusieurs inhumations au même emplacement, ce qui était fréquent, puisque la place était mesurée, on gravait alors une ou plusieurs petites croix à côté de la première. Ces considérations générales rappelées, revenons au Cimetière de Sivry. Lors de la reconstruction de l'église, en 1756, il est vraisemblable que déjà le cimetière avait nécessité un transfert. L'histoire, en effet, nous apprend que de 1579 à 1646 - soit en 67 ans - la peste, ou le choléra, a sévi vingt fois sur la région et qu'en 1656 Sivry, en ruines, n'était plus qu'un désert. Il est donc à supposer que la plupart des victimes de ces épidémies redoutables à l'époque, ont été inhumées là où il y avait de la place, soit en dehors du village. En retraçant brièvement ce que j'ai pu connaître de l'histoire du village, j'ai mentionné quelques sépultures faites à Sivry de 1679 à 1770. Si celle du curé MARTIN le fut à l'intérieur de l'église, ainsi qu'il était coutume pour les desservants, aucune n'est signalée comme l'ayant été près ou autour de l'église. On est donc amené à supposer qu'il existait déjà, sinon le cimetière que nous connaissons, du moins une annexe ailleurs puisqu'aucune extension n'était possible auprès de l'église. On a dit que le nouveau cimetière se trouvait sur un terrain de forme triangulaire, précédant l'enclos actuel et qu'on traverse entre les rangées de thuyas lorsqu'on y accède et que le cimetière actuel date de 1871. C'est, sans doute, exact, mais en partie seulement, car on ne voit guère qu'on ait transféré le cimetière autour de l'église pour ce terrain triangulaire en somme plus étroit encore que la surface qu'il occupait autour de l'église pour le retransférer à nouveau à son emplacement actuel. D'ailleurs une carte d'Etat-major édition de 1843 mentionne bien le cimetière à cet endroit actuel. Le mur, peut-être, date de 1871. Je me souviens qu'avant la grande guerre de 1914, il n'y avait point d'enclos précédant le cimetière. On y arrivait entre deux rangs de sapins. L'historique de la 481° batterie d'artillerie allemande mentionne qu'à son arrivée à Sivry fin août 1914, elle dissimula ses pièces de canon et ses caisses sous les sapins à l'entrée du cimetière. Si les anciens de Sivry se rappellent avoir lu, ainsi que le relatait le Bulletin Paroissial d'il y a une dizaine d'années, sur le mur de soubassement de l'église, les noms de ceux qui furent enterrés là, je me souviens bien moi aussi les avoir vu lorsque enfant je jouais avec mes petits camarades autour de l'église. Ces inscriptions sont maintenant à peu près toutes disparues, bien des pierres du soubassement de l'édifice ayant été remplacées ou grattées lors des réparations effectuées en 1918 et 1945. cependant j'en ai encore repéré une vingtaine. Le Bulletin Paroissial regrettait qu'une plaque n'ait point été apposée sur la façade de l'église pour rappeler que le sol qui l'entoure est encore un ossuaire. Certes, cela aurait dû être. Lorsqu'on a rectifié le chemin de la Chaudoie les ouvriers n'ont-ils pas mit à jour de nombreux ossements ? De même lorsqu'il s'est agi de ménager une chaufferie sous la sacristie et que pour y avoir accès on a démoli le mur d'enceinte de l'ancien cimetière et nivelé le terrain. Récemment encore, quand on creusa pour la pose du paratonnerre, à l'angle du clocher de gauche, près de la petite porte latérale face à la mairie, on retrouva des os. ceux-ci furent pieusement recueillis, mis en caisse et ré inhumés dans le cimetière actuel. Il est temps d'y pénétrer. D'abord, sitôt la lourde grille d'entrée franchie, une large allée, couverte de graviers crissant sous les pas, maintenant bitumée, conduit à un autel de pierre dont le style rappelle le XVIII°, c'est à dire l'époque de la reconstruction de l'église . Il est malheureux que pour y creuser la tombe du vieux prêtre, le chanoine PETIT, mort en service après de nombreuses années de dévouement, on ait démoli les deux marches de pierre devant cet autel et il est bien dommage qu'on ait eu le mauvais goût d'y placer une affreuse dalle de marbre noir qui détruit complètement l'ensemble sans même ajouter au respect et au souvenir. Je crois qu'autrefois l'on devait dire l'office à cet autel puisqu'une petite niche, sans doute destinée à abriter le Ciboire, est creusée sous la croix de fer forgé qui la surmonte. De chaque côté, avant guerre, on distinguait les concessions trentenaires à gauche et à perpétuité le long du mur. Mais maintenant tout cela a changé et à part un emplacement réservé aux inhumations des rares sans famille tout n'est plus que concessions. Avant 1914 il n'y avait dans le cimetière de Sivry aucun monument grandiose et prétentieux. Ici et là cependant, il n'était pas rare de voir de belles croix de pierre ouvragée ou de simples dalles. La guerre de 14-18, particulièrement les bombardements qui, en octobre 1918, précédèrent la reprise du village, avait fort abimé le Champ du Repos qui, alors, ne pouvait plus guère mériter de nom : La plupart des croix étaient brisées ou renversées. Les gros arbres abattus, et bien des dalles fendues ou cassées. Je n'ai pas retrouvé de tombes antérieures à 1850 selon les dates lisibles sur les monuments. Mais cela ne signifie pas grand chose au sujet de l'histoire du cimetière, car il se peut que certains corps auraient été relevés et ré inhumés lors du transfert. En 1918 il y avait aussi quelques tombes de militaires français qui ont été exhumés par la suite, réclamés par les familles ou regroupés dans les cimetières militaires autour de Verdun. Seul, se dresse le monument de granit rose du colonel CHEPPY, tué en 1918 à la veille de l'armistice. En 1945, ce fut à peu près la même chose en ce qui concerne les tombes des militaires. Si l'on peut se recueillir sur la sépulture de mon ancien camarade MOURON, tué en 1940, on ne peut qu'évoquer les restes de cet autre, BROUILLARD, tué en Norvège en 1940 tout comme Gabriel DORMOIS, mort en 1916. L'un et l'autre n'ont jamais été retrouvés. Depuis, combien d'amis, combien de parents sont venus grossir l'effectif de ces disparus ? D'abord le Lieutenant ADELINE, le fils du général, tué en Algérie et suivi, bientôt par son père, un des héros méconnus - parce que modeste - de la résistance et vainqueur de la poche de Royan. Puis la sépulture du Capitaine RENAUDIN (il avait eu 11 citations). Il y manque celle de Gaston RICHARD cet autre héros de la grande guerre.
La baisse de la population à Sivry
Le déclin de Sivry est-il dû, pour la plus grande part, à
la baisse constante du chiffre de la population ? En rechercher les causes
c'est encore se pencher sur l'histoire. On constate , en effet, que les
invasions, les luttes intérieures, locales et régionales autrefois
presqu'incessantes qui ont déchiré la Lorraine et périodiquement les grands
conflits qui l'ont opposée à ses voisins, ainsi que les terribles fléaux qui
en ont résulté, tels le choléra ou la peste, pourraient en être la raison
majeure et suffisante. Les armées d'alors vivaient sur le pays. Composées en
grande partie de mercenaires étrangers et inactives entre deux courtes
campagnes, elles devenaient vite des bandes incontrôlables
parcequ'indisciplinées. Tout comme les envahisseurs, ces troupes se
livraient au pillage, au viol, au massacre, à la destruction. En ces
temps-là il ne faisait déjà pas bon de se trouver dans la zone des
affrontements, ni sur l'itinéraire des bandes quand on n'avait pas, de
surcroit le malheur d'être choisi comme quartier d'hiver. Car la stratégie
exigeait que l'on transforme en terre brûlée la zone des combats afin de
couper les vivres à l'adversaire. Sans remonter trop loin le cours des
événements, nous voyons qu'après la guerre de trente ans, Sivry complètement
ruiné, réduit à un désert total, s'était rapidement relevé puisqu'il compta
bientôt plus de 1000 habitants. C'est probablement de cette époque que date
la réunion avec le petit village voisin de Soutreville. Le groupement des
communes ne date pas d'aujourd'hui ! En 1840, donc il y a cent trente cinq
ans seulement, Sivry compte encore 1040 habitants alors qu'en 1975 on n'en
dénombre pas même 500 (490 au dernier recensement). Certes, les guerres, et
particulièrement les guerres modernes -Sivry en a subi trois en moins d'un
siècle - font des vides et pas seulement dans les rangs des combattants. Sur
le monument aux morts du village, on peut lire pour 14-18 trente six noms et
quatre pour 39-45. Encore ces chiffres ne donnent-ils qu'une indication
incomplète. Il faudrait y ajouter tous ceux qui périrent dans les guerres
coloniales et toutes les victimes civiles. Car, par deux fois Sivry dut être
évacué et que certains habitants disparurent sur les routes ou sur les lieux
de leur exode ou de leur détention. Mais tout ceci ne reflète pas encore
complètement les pertes réelles : conséquence même des évacuations, bien des
habitants, contraints pendant ces longues années d'exil, de chercher, là où
ils se trouvaient, un emploi pour subsister, se sont acclimatés et, la
guerre terminée, se sont ainsi fixés ailleurs. Tel fut le cas de tous ceux
qui, au village, ne possédaient pas grand' chose avant guerre ou qui privés
par les deuils subis, des bras qui leur eussent été nécessaires pour relever
les ruines, se sont découragés. Sans doute, convient-il de noter qu'entre
les guerres, des familles nouvelles sont apparues, suite aux alliances ou à
l'attrait d'un emploi avec les travaux de reconstruction des habitations,
des routes ou d'aménagement. Mais cet apport fut loin de compenser les
disparitions ou les départs et la période la plus marquante de l'arrivée de
nouveaux habitants fut celle de la création de la voie ferrée de la vallée
et du Canal de l'Est vers 1880. La reconstruction, de 1920 à 1925 attira,
certes, beaucoup de monde, non seulement des professions du bâtiment, mais
aussi d'administration avec les bureaux des Régions libérées. Mais, ce ne
fut que provisoire, le temps de reconstruire et à part quelques personnes
qui y demeurèrent, Sivry retrouva le calme et vite son sommeil. Pendant la
seconde guerre mondiale, seuls partirent, les habitants qui ayant subi des
dégâts et des pertes de la première, s'en souvinrent et tentèrent bien
inutilement de sen éloigner. Mais les conditions n'étaient déjà plus les
mêmes, et il fallait bon gré, mal gré, accepter la loi de l'occupant. Lors
de la délivrance, s'il y eut des retours, et aussi des vides, les uns et les
autres ne furent pas comparables à ceux de 1918. De nouvelles exigences,
cette fois, économiques allaient encore provoquer des départs après 1945.
Avec le remembrement des terres, la transformation de la polyculture qui
laissa bientôt la place à l'élevage intensif et envahissant au point de
proliférer et d'aboutir, sans être bénéficiaire pour autant, à une
production de lait aberrante puisque contrainte au stockage, on assista à la
disparition des petites exploitations agricoles et, dans les fermes
subsistantes, au départ de tous ceux qui ne pouvaient plus y trouver leur
gain. De même, ce qu'on nous présente comme la "restructuration de
l'industrie lorraine" et qui ne fut qu'un leurre pour dissimuler avec la
prétendue crise de l'énergie, la fermeture d'usines sidérurgiques et
l'abandon de nos mines déclarées vétustes et non rentables, à l'encontre de
la plus évidente vérité, afin d'assurer politiquement le maintien d'une
équipe gouvernementale avide de profits qui allait vendre à l'encan notre
industrie à nos voisins qui ne cachaient même plus leur convoitise.
Quoiqu'il en soit, le fait indiscutable est là : Bien des familles habitant
autrefois Sivry, ont disparu jusqu'à leurs derniers descendants. Déjà, en
1910, on ne trouvait plus trace d'une vingtaine de feux existant en 1840.
Autant se sont éteints en 1918. L'entre deux guerres en vit encore partir
une quinzaine et en 1945 une autre dizaine manquera à l'appel tandis que
depuis et jusqu'en 1975, soit donc en trente ans, ce sera une nouvelle
trentaine qu'il faudra rayer. En résumé, en moins d'un siècle Sivry a perdu
trois fois plus d'habitants qu'il n'en a reçu. Encore, il y a lieu de noter
que ces données sont le résultat de recherches personnelles et n'ont donc
que la valeur d'indication. Pour en terminer avec ce chapitre relatif aux
mouvements de la population, qu'il me soit permis d'ajouter encore les
constatations suivantes que j'ai découvertes en essayant de me frayer un
chemin sur la route si encombrée de l'histoire de Sivry. D'abord, si
certaines familles paraissent originaires de l'ancien village - et cela
remonte bien loin - d'autres, l'habitant également proviennent de localités
environnantes ou de villages plus éloignés, au fur et à mesure que les
déplacements sont devenus plus aisés. Certaines sont même arrivées de
l'étranger, comme ce fut le cas, lors des grands travaux, mais pour la
plupart, ce sont les résultats d'unions. Ensuite, on remarque que certains
de ces "implantés" ont comme patronyme, un nom qui fut, aux temps lointains,
celui de leur localité d'origine, comme par exemple : CHAMPLON, CHEPPY,
DORMOIS, ou MORLET ou de noms de lieux-dits, de terres ou de bois, LAVIGNE,
LEBAS, LAVAUX, PERCEVAL ou encore de métiers, CHARRON, MARCHAL (MARECHAL),
BOULANGER, VIGNERON etc...D'autres, enfin, sembleraient avoir laissé au
village une empreinte plus profonde -Serait-ce le cas de CHAUDOYE ? bien
qu'à ma connaissance il n'y ait jamais eu à Sivry une famille de ce nom, qui
d'ailleurs, provient de Montmédy. Il faudrait, pour être complet, connaître
évidemment l'histoire et la généalogie de toutes les familles.
Les Familles
Souche et avant 1914 | 1919-1939 | 1945 et récent |
Adam, Adeline, Aletti, Archambault | Albrecht, Andrianne, Antoine, Aubry | |
Bandequin, Bauzée, barthélémy, Baye, Bege, Bienaimé, Boivin, Boulanger, Brouillard, Breda, Burlot, Buvelot, Baudeux | Baudelot, Bérard, Bernard, Blair, Blaise, Brière, Brochet, Bruse | Bagage, Baudette, Bertaud, Bertignon |
Callé, Carpentier, Casies, Champlon, Chardon, Charlet, Cheppy, Chottin, Colin, Collignon, Cordonnier, Couronne, Couturier | Chaplier, Chateau, Clément | Carré, Charpini, cholet |
Dautruche, Decombe, Delandre, Denis, denoyelle, Didier, Didiot, Dormois, Dufour, Dumas, Dupas, Durand | Degas, Dothe, Dourte, Dumoulin | Denizet, Drosne |
Elard, Ely, Evrard | Etienne | |
Favotte | Failly (de) | |
Génin, Gérard, Gruzelle, Georges | George, Guichard, Guillaume | Gavard, Gillet, Geusquin |
Hacherelle, Hallé, Hanse, Hargé, Henry, Hornard, Hureux, Hussenet | Hardouin, Henriot, Humbert | Hablot, Habrant, hattier, Houdemont, Huguebourg |
Ignac | ||
Jacobs, Jacquet, Jaillier | Jardinier, Jonquet | Jolin |
Lambinet, Lambotin, Lapierre, Leclère, Lecomte Lecuir, Leroy, licourt, Lombal | Lacour, Lallemend, Laurent, lavault, legardeur, lameus, Liegeois, Luxemburger | Ledru |
Malquy, Marchal, Morlet, Mouton, Mozon, Murvaux, Murville | Magisson, Mary, Massalengo, Mayot, Méline | Mongourd, Miraucourt |
Nancy | Noelle | |
Oudinet | Oberweis | |
Paquis, Pelas, Penoit, Perceval, Petitjean, Petremont, Philippon, Pierquin, Pierrard, Pierron, Pierson, Pipas, Platel, Poncelet | Pichon, Pinton, Planson | Piernet, Pigeon |
Renaudin, Richard, Rousselot | Receveur, Rigoulot, Roman, Rougeot, Roux | |
Saintin, Simon | Sarron, Scherrer | Sifert, Sirot |
Tamoni, Taque, Tenaille, Trousselard | Temerman | |
Urbain | ||
Venante, Vigneront | Vanel, Villant, Villemin, Vuillaume | |
Wetzel | ||
Yardin | ||
Zingerlé, Zonsoni | ||
Les lieux-dits
Au village : Les quartiers : Ninhou, Le Moulin, le Bief, l'Eglise, le bazil, la Chaudoye, le port, Strouville, Derrière le moulin, Dessous le moulin, Entre deux-cours, Champ Cholet.
Les Rues : la Grand'Rue, La Rue du moulin, La Rue des quatre vents, La Rue du Port, La traversée.
Les Chemins : Chemin de la Croix saint Claude, Chemin du vieux Poirier, Chemin des Volettes, Chemin des Vignes hautes, Chemin des Vignes basses, Sentier du Larret, Le fossé de Nachet, Le chemin de Corroy, Le sentier des Soldats.
Autour du Village : Au Nord : Côte d'Haraumont, Les Epinettes, Le Long Bois, La Perrière, La Renaudine, Moyenmont, Les Ruets, Warsin.
A l'Est : La Vaux Claudine, la Vaux Jean Richard, La Vaux de Corroy, Nachet, la Palette, Saint-Pantaléon, La Grande Montagne, Le haut-Chêne, Villebaubois, Bure, Le Différend, Chaume.
Au Sud : Première vaux, Le larret
A l'Ouest : La Côte Pinhou
La Meuse : Le Barrage, Le poteau, Le gravier des Cochons, Le Gué des Cavaliers, le grand-retour, les Noues, le Paltrage, La Planchette, la Vihout.
Les Fermes qui, en 1914 appartenaient encore aux hospices de Verdun : La Villeneuve (anciennement de Corroy), Sillon-Fontaine ( anciennement la vaux Nonotte), Magenta, Solférino, Alger, Molleville : où fut installé en 1915-1916 le Q.G allemand de l'attaque sur Verdun.
Une Boucherie pas comme les autres :
L'emplacement de l'actuelle place où s'élève maintenant le Monument aux Morts du village, était avant 1914 occupé par tout un pâté de maisons. Ces habitations étaient bien vieilles déjà, car l'une s'était écroulée, et l'autre avait été, bien des années auparavant incendiée. Entre ces deux monceaux de ruines, où nous conduisaient souvent nos jeux, c'était si amusant de grimper sur les tas de pierres ou de chevaucher les poutres qui en émergeaient, était la boucherie Vigneront. Probablement que les ancêtres du boucher avaient dû, aux temps anciens, posséder eux-aussi des vignes. Si, étant donné notre jeune âge, nous n'étions point chargés d'acheter côtelettes ou beefsteaks, cette boucherie nous attirait. Elle nous paraissait si curieuse, si différente de celles dont nous étions accoutumés à la ville. Il n'y avait pas d'étal aux multiples plats rectangulaires de faïence blanche, ni de garçons vêtus de vestes à carreaux sous le tablier blanc taché de sang, s'affairant à grands coups de hachoir, faisant osciller le tortillon des cordons dans leur dos courbé. D'abord, il n'y avait pas de boutique. On poussait une porte vitrée pour entrer dans une salle, éclairée par une fenêtre basse, où sur une table, trônait la haute balance, aux plateaux de cuivre suspendus par des chainettes à un immense levier dont l'aiguille oscillante indiquait mystérieusement le poids puisqu'on ne pouvait distinguer de marques sur ce levier. Tout le mur du fond était tapissé de crochets où pendaient, çà et là, quartiers ou morceaux de viande. D'ailleurs cette salle où nous pénétrions rarement, ne nous intéressait nullement. Ce qui nous attirait particulièrement était la grange, toujours ouverte. C'était là, sur les pavés inégaux, que le boucher abattait les bêtes, la plupart du temps, un bœuf, souvent un veau vagissant et plus rarement un mouton bêlant. Si nous n'aimions pas trop regarder égorger, avec le grand couteau, veau ou mouton, dont le sang coulait dans le seau, nous contemplions préférablement l'abattage du bœuf. Un grand commis tenait le licol pendant que le boucher, en sabots, entravait la bête. Puis on fixait sur sa tête, entre les cornes, une espèce de masque en cuir, dont au milieu dépassait la grosse tête plate d'un clou. Alors, saisissant une masse, le boucher, d'un grand coup adroitement asséné, frappait le clou et l'animal paraissait se balancer un court instant sur ses pattes, avant de s'écrouler tout d'un coup. Il arrivait parfois, soit que la bête eut bougé légèrement la tête, soit que le boucher ait mal calculé son coup, que le marteau frappait à côté du fameux clou. Alors, rendu furieux, la bête devenait terrible. Nous nous écartions naturellement. On appelait alors, en renfort, le voisin ou un passant, qui, à force de cordes, voire de coups répétés sur la pauvre victime, tentait, au moyen de garrots, et d'une courroie vivement passée autour du cou et serrée au point de l'étrangler, de la rendre immobile, pour recevoir enfin le coup fatal. Un jour qu'on assassinait ainsi un gros bœuf, me souvenant d'une récente opération que j'avais subie, j'ai naïvement demandé au boucher pourquoi, avant de taper sur le clou, il ne versait pas du chloroforme dans le masque. Je ne sais plus ce qu'il m'a répondu mais je ne pourrais probablement pas en transcrire les termes. D'ailleurs sa réponse, aussi ironique que sonore, ne lui porta pas chance : Au moment, où la masse levée, il s'apprêtait à faire son office de bourreau, voilà-t-il pas que ses sabots glissent sur le pavé gluant et que la masse vint frapper l'animal juste sur le museau ? Alors, oh alors. La bête, dans un mugissement terrible, qui, entre parenthèses, nous fit reculer à bonne distance, et dans un sursaut formidable, brisa net les cordes de ses entraves, échappa au commis stupide d'effarement et, masque sur la tête, bondit hors de la grange et s'enfuit au galop. Ah, mes amis, ce fut épouvantable. Tous les assistants s'égaillèrent, les portes se fermaient, dans un tumulte de cris. Le boucher, abandonnant sa masse inutile et ses sabots, le commis tenant encore en main son ridicule bout de licol, s'élancèrent à la poursuite du rumsteck qui, aveugle, alla, heureusement se fracasser le crâne contre l'angle du lavoir communal, non sans avoir, dans sa course affolée, brisé les roues d'une charrue dans laquelle il s'empêtra. Nous étions encore tout tremblants et ne songions nullement à crier "ollé". Si ceci nous guérit d'assister aux exécutions publiques, nous n'en conservâmes pas moins un trouble, car ce n'est pas sans quelque terreur que nous regardions, en passant devant la boucherie, si la grange était occupée. Et, si d'aventure nous nous attardions devant, c'est que, cette fois, on venait de tuer le cochon et qu'on en faisait rôtir les poils sur un feu de paille. Alors, avions-nous l'espoir, de recevoir, en récompense de notre assiduité, ou le bout d'une oreille ou la queue en tirebouchon que nous nous partagions, avant d'en croquer les morceaux délicieux, bien qu'à demi cuits.
Une drôle d'Epicerie :
Juste en face de notre maison était l'épicerie du Père Colin. Pour s'y rendre, nous n'avions donc qu'à traverser la route et, à cette époque, il n'y avait guère de circulation. Aussi, lorsqu'il arrivait à ma Tante, chargée de veiller à la cuisine, pour confectionner les repas qu'elle préparait et que nous trouvions excellents, sans doute parce que nous avions toujours l'estomac creux et surtout parce qu'ils étaient agrémentés de soufflés ou de tartes dont elle possédait maintes excellentes recettes, d'avoir oublié quelque condiment, nous étions dépêchés à cette épicerie providentielle. C'était dans une vieille maison, semblable à toutes celles adjacentes, une petite boutique. Elle s'agrémentait cependant d'une large fenêtre servant de vitrine, où s'entassaient pêle-mêle les articles les plus divers, depuis la saucisse jusqu'aux petits bonhommes de sucre rose, en passant par de petits sacs de légumes secs et les bocaux de bonbons aussi coloriés qu'acidulés. Cette boutique était néanmoins assez sombre. Dès l'entrée, on était saisi par l'odeur lourde où il était difficile de définir les senteurs du café grillé, de la moutarde piquante ou du jambon fumé pendu au plafond noirci qui se balançait parmi les ficelles des morceaux de sucre candi et les attrape-mouches. Sur une étagère, s'alignaient, dans leur papier bleu, les cônes pointus des pains de sucre, voisinant avec quelques boîtes de conserve. Il n'y avait point de sonnette à la porte, de sorte qu'il fallait attendre un petit moment, avant que ne s'ouvre, dans la boutique, l'autre porte donnant sur l'habitation. Alors apparaissait le tenancier, dans sa longue blouse grise sur laquelle était ficelé une espèce de tablier en toile à sac. Nous n'avions pas tardé à repérer, de chaque côté de la porte d'entrée, deux gros tonneaux dont l'un était toujours démuni de son couvercle. C'était un tonneau rempli de mélasse. Alors, vous pensez !! Pendant que le vieil homme nous préparait notre achat, généralement du sucre, et qu'il cassait, avec son petit marteau, le pain entamé sur le comptoir et pesait sur une désuète balance, non sans ajuster plusieurs fois ses bésicles, nous plongerions dans l'épaisse pâte brune et collante du tonneau, nos mains agiles et c'est en suçant et pourléchant nos doigts que nous sortions tout heureux de l'aubaine. Hélas, sur nos beaux tabliers aux plis soigneusement repassés, de longues traces gluantes et révélatrices fournirent bien des fois à ma Mère, l'occasion de retentissantes gifles.
Il me souvient qu'un jour, mon petit cousin parisien était venu passer les vacances chez nous. Je l'avais, bien sûr, initié à tout ce que le pays pouvait offrir en fait d'amusement. Et, quand, derechef envoyés en courses, nous pénétrâmes dans la boutique, toujours pour chercher du sucre dont il semblait que nous en faisions consommation effrénée, je laissais naturellement la "place d'honneur" à mon cousin, prêtant par ailleurs grave attention aux mouvements de la balance. Mais voilà ! Ce jour-là, c'était l'autre tonneau qui était ouvert et, quand nous ressortîmes de la boutique, ce fut pour entendre éternuer éperdument mon cousin et voir sa figure toute barbouillée de.... moutarde. Sur le beau tablier neuf, s'étalaient d'épaisses dégoulinures. Devant ce rhume subit et sonore, nous passâmes, lui et moi, un bien mauvais quart d'heure. Car l'évidence odorante et persistante nous contraignit à avouer notre larcin, expliquer notre déplorable habitude et surtout, pour notre malheur, l'abandonner.
La Boulangerie :
Les maisons, le long de la grand' route, se succédaient, mitoyennes et à peu près toutes semblables, avec leur grange à la grande porte arrondie en haut, à l'encadrement de pierres taillées et, tout à côté, la petite entrée aux deux ou trois degrés, avec un banc, où le soir, s'asseyaient les voisins venus "paronner". Lorsqu'on pénétrait dans l'une de ces maisons, c'était d'abord, un long couloir allant jusqu'au jardin derrière, sur lequel s'ouvraient la chambre servant à la fois de cuisine et de dortoir, et l'écurie. Car, les propriétés étant très morcelées, Sivry était un village de petites cultures et chacun possédait une ou deux vaches, parfois un cheval. De sorte que, dans le couloir, il n'était pas rare de se trouver nez-à-nez avec un "bestiau" auquel on devait céder la place en ressortant, le couloir étant fort étroit. Toutes ces maisons avaient un étage, chambre ou grenier. Sur l'une d'elles, était peinte sur une grande planche le mot "BOULANGE" car le reste des lettres de l'enseigne, écaillées sous le soleil et la pluie, était illisible. Là non plus, il n'y avait point de boutique, à proprement parler. On pénétrait directement dans la salle basse. Sur une grande table, s'entassaient les miches et les couronnes de pain, seules formes alors en usage. Beaucoup de gens, en ce temps de mon enfance, faisaient encore leur pain dans "la chambre à four" et nous mangions souvent du "pain de ménage" que nous trouvions bien bon et qui l'était en effet. Malheureusement la pâte desséchait vite et ce pain durcissait à tel point que, passé au four, on ne pouvait venir à bout du restant des "boules". Alors, on nous envoyait "au pain" à la boulangerie. Le boulanger était le cousin Jules, encore un cousin dont la filiation avec notre famille était aussi lointaine que complexe. Entré dans la salle, on respirait, dans la douce chaleur du four voisin, la bonne odeur de la pâte que le cousin, torse nu, brassait de ses gros bras dans le long pétrin. Celui-ci se trouvait, tout près, dans une autre petite pièce où l'on accédait en descendant les marches d'un petit escalier. Dans le fond, était le four. Le mitron, un de nos copains, apportait de la cour, des charges de petit bois, la "charbonnette" qu'on livrait par chariots entiers. On voyait le boulanger saisir les petits paniers d'osier dans lesquels il versait la pâte blanche pour, à l'aide d'une grande pelle de bois plate, les enfourner. Quand on venait au pain, le cousin s'essuyait les mains sur son large tablier bleu et sur ses bras velus adhéraient encore de petits paquets de pâte. Il pesait la miche sur une balance et coupait "la mesure" en la tranchant d'un seul coup avec un grand hachoir avant d'aller faire au couteau une encoche sur la planche réservée à cet effet et pendue auprès de la porte. Si l'on ne faisait point encore de croissants ni de petits pains, on pouvait, le dimanche avant la messe, apporter un pâté en croute d'où dépassait la petite cheminée de papier, ou un gigot aillé, plats qui ne pouvaient prendre place dans la cuisinière de la maison, le four étant déjà occupé par la large tôle ronde "la roue de bécane" comme nous disions, où ma Tante avait préparé la tarte hebdomadaire. On était sûr que, quelque soit le plat apporté au boulanger, il serait cuit à point, ce dont nous ne manquions jamais de nous assurer en le ramenant tout chaud dans une large serviette à carreaux rouges, ce qui faisait dire à ma Tante : "Faudra dire au Jules qu'il a des souris". Le boulanger avait un fils, à peu près de notre âge, le "Dédé". Il était batailleur de nature. Je ne l'étais pas moins. Chaque fois que nous nous rencontrions, c'était pour nous empoigner et à coups de poings, lutter jusqu'à rouler par terre. Quel drame, lorsque la bataille avait lieu le dimanche ! C'était toute une affaire de brosser, de nos mains aussi sales que nos vêtements, le costume marin dont le col froissé ma valait souvent la privation de la fameuse tarte.
Le charron facétieux :
En descendant la rue qui, de l'église menait à la Brasserie et au canal - La rue du moulin - on passait devant une des dernières maisons, avant d'arriver au ruisseau. Dans la grange de l'une d'elles, était l'atelier de "L'Hyacinthe" le vieux charron du village. Un tas de planches, des chevrons et des roues de chariot, en encombraient les abords. Penché sur le long établi, on voyait le charron toujours occupé, tantôt sciant, tantôt rabotant. Quelque peu familier du travail du bois pour avoir souvent contemplé mon Grand-père qui avait été menuisier de son état dans son petit atelier aménagé dans le grenier où je me réfugiais les jours de pluie, j'allais bien des fois voir travailler le charron. Je dois avouer que mes fréquentes visites étaient, la plupart du temps intéressées : Depuis que mon aïeul trop âgé avait fermé son atelier, j'avais toujours besoin d'un morceau de bois ou d'une poignée de clous. Le vieux charron, dans son large pantalon de velours, de la poche duquel dépassait son mètre pliant et plus encore son mouchoir à carreaux, serré à la taille par une vieille ceinture de flanelle rouge toute boudinée, la chemise échancrée laissant apercevoir son torse velu, les manches retroussées sur les bras aux muscles saillants, avait un visage rond, percé de petits yeux vifs sous les épais sourcils et mangé par une énorme moustache grise, mais d'un brun jaunâtre sous le nez, car il prisait. Tout en taillant à la plane ou polissant à la râpe ce qui allait bientôt devenir le rayon d'une roue, le charron chantonnait, étant gai de nature. Il ponctuait bien sa chanson de quelques sonores jurons : "cré nom de nom", "varat", ou "pute de cagne" - et j'en passe - lorsque son outil heurtait un nœud, mais il restait toujours de bonne humeur. A chacun de ces incidents, il s'offrait une pincée de tabac, puisée dans une petite boite de métal au couvercle bosselé et souvent résistant. C'est ainsi qu'il arriva, un jour, que ce couvercle refuse obstinément de s'ouvrir, juste au moment où un cultivateur du pays venait s'enquérir si la brouette qu'il avait amenée une quinzaine de jours auparavant pour sa roue brisée, était prête. "Alors, l'Hyacinthe, ma barouette ? " grogna l'arrivant. "J'allan la fare c'tantôt num" répondit le charron "arrête une miette, t'vas la vouère", poursuivit-il. Puis, se souvenant que son client, lui aussi prisait, il saisit, à sa portée sur l'établi, une autre boîte métallique plate, ouvrit celle-ci sans difficulté, et la tendit à son interlocuteur. "Tin, j'te baille une prise" lui dit-il. L'autre, de ses gros doigts, prit une pincée de tabac, la porta alternativement à l'une et à l'autre de ses narines, renifla un grand coup et, aussitôt éternua bruyamment, se mit à tousser, à derechef éternuer de plus en plus fort, au point d'en devenir congestionné. "Sapre.. saprelotte... l'Hya...l'Hyacinthe" hoquetait-il. "T'nem seulma point capab d'priser asseteur ?" rigolait le charron. Car, farceur, il réservait le contenu de cette boîte à ses amis, l'ayant copieusement saupoudré de poivre. Lorsque notre priseur eut la toux quelque peu calmée, à grand renfort de tapes dans le dos que ne lui ménagea guère le charron, le bonhomme revint au sujet qui l'avait amené : "ben, et ma barouette". Alors, lui désignant celle-ci, renversé dans un coin de l'atelier, dans l'attente d'une roue de remplacement, l'Hyacinthe très calmement lui dit : "la v'la, tout ci". "J'nam toujou point- ma roua" s'écria le cultivateur, "D'ousque j'va monder tout comme v'la ?" car, il faut le dire, vu l'état lamentable et l'horrible couleur du bois de la brouette où adhéraient encore les restes d'un odorant transport, celle-ci ne devait servir qu'au fumier. "Arrête une miette" rétorqua le charron, qui sortit de dessous l'établi, une roue sans doute préparée à l'avance, et la présenta entre les longerons de la brouette : "Na, j'vois ben". Mais l'autre :"Pour mi c'te roua-là, l'est ben trop haute". En effet, la roue ne pouvait être mise en place car elle heurtait le dos de la brouette. Sans aucunement paraître surpris, le charron, péremptoire, déclara : "C'nem vra, couillon, c'te roua-là, l'est ben, c'est ta barouette qu'est quasiment tout usée, roite voir, les longerons sont trop courts, faut que j'les allonge !" Le client dut en convenir car il repartit. Mais là ne s'arrêtaient point les facéties de l'ingénieux charron, qui, en la circonstance avait gagné avec un nouveau délai, l'exécution d'un travail plus important. Comme il travaillait soigneusement, ayant comme tous les artisans de son temps un véritable amour de "l'ouvrage bien faite" il ne chômait pas. Les commandes affluaient, vu que s'il était renommé, il était aussi le seul de la profession, le travail s'entassait, plus qu'il ne pouvait en faire. Ne voulant mécontenter personne, il promettait à tous, mais n'arrivait jamais à satisfaire les trop nombreux clients. Aussi avait-il mis au point une technique parfaitement étudiée : il attaquait toutes ses commandes à la fois, réparant un brancard ici, changeant une planche là, ou démontant rapidement une ridelle ou un bat-flanc, quittant bientôt le travail entrepris pour passer à un autre. Aussi, dès qu'il apercevait un de ses clients descendre la rue du moulin, il sortait vivement son mètre de sa poche et le dépliait, penché sur la pièce ou le véhicule appartenant à l'intéressé. Et, lorsque celui-ci l'interrogeait, il répondait invariablement : "Roite l'ami, j'étan d'sus". Alors, rassuré, le client n'insistait pas. Si d'aventure il le faisait, il n'était pas davantage en peine : il attendait justement un bois de la scierie ou un outil donné "à la repasse" au maréchal qu'il vouait, de loin, à tous les diables. N'eut-il pas un autre jour l'idée farfelue, mais amusante, de tapoter à grands coups de marteau des clous invisibles parcequ'absents, sur les planches du fond d'un chariot, jurant tout son répertoire devant le propriétaire médusé. Il lui prouva que ces planches étaient "toutes pourrittes" et qu'il y avait lieu de les remplacer complètement, tendant en irrésistible témoignage la seule pointe de charpentier qu'il avait en main, en disant : "cé quasiment don beurre, v'la tourtout qu'en restant d'min paquet". Bref, s'il était farceur, il était consciencieux et, le connaissant, on lui passait ce penchant qui ne faisait de mal à personne tout en égayant les avertis qui se gaussaient de la victime. Au reste, ce n'était point là l'intérêt que je portais à notre charron. Je l'admirais en bien d'autres circonstances. Comme par exemple lorsqu'il assemblait les nombreuses pièces d'une roue. Jamais je n'eus imaginé qu'il y en eut tant. Sur le gros moyeu, creusé longuement à la gouge et au ciseau, venaient, un à un, s'encastrer parfaitement la mortaise des rayons dont l'autre extrémité s'attachait aussi exactement dans la pièce arrondie dont l'arc allait joindre le suivant pour former la roue. Lorsque l'ensemble était terminé, le charron allumait, devant la grange, un gros feu de bois dans lequel chauffait le grand cercle de fer. Puis, quand celui-ci, sous l'action de la chaleur, avivée par un énorme soufflet de cuir, devenait rouge, le charron le saisissait dans les mâchoires d'une longue pince. Sur la roue, posée et calée à plat sur le sol, aidé d'un compagnon également armé d'une pince, il posait ce cercle dans le grésillement du bois fumant. Il emboîtait ensuite à coups mesurés de sa masse, le cercle encore rouge de façon à ce qu'il épouse bien le bois arrondi de la roue. Avec précaution, on dressait alors cette roue et on la roulait jusqu'au bief, où, dans l'eau, on la renversait dans le chuintement de la vapeur qui s'en dégageait. C'était vraiment un beau spectacle.
La Brasserie :
C'était une belle brasserie que la brasserie de Sivry.
Oh, il ne s'agissait point d'une de ces grandes usines, telles qu'en
connaissaient depuis longtemps les rives de la Meurthe ou de la Moselle, ces
grands crûs de la bière. Mais, ce n'était pas non plus cet atelier
artisanal, voire familial, comme on en voyait tant, avant 1914, dans
beaucoup de villages des Ardennes et qui proliféraient dans tout le nord de
la France. Si, ceux-ci produisaient de la bière dite de fermentation haute,
qui était plus comparable à l'antique cervoise plutôt qu'à la boisson que
nous connaissons, la brasserie de Sivry relevait, déjà, de la fermentation
basse qui assure à la bière une meilleure conservation après un séjour en
cave fraîche. La brasserie s'élevait sur le bief qui assurait ainsi à ses
caves la fraîcheur constante nécessaire. Encadrant une large cour ouverte
sur la rue du moulin, s'élevaient d'un côté les engrangements où, sur les
greniers étaient entreposés l'orge et le houblon et où se trouvaient les
écuries et les chariots aux ridelles ajourées. On attelait ceux-ci chaque
matin aux couples de chevaux ardennais, animaux de taille et de vigueur
respectables puisqu'on les appelait les chevaux de brasseur. Et, les hommes
au tablier de cuir y chargeaient les tonnelets ou les caisses de canettes
bouchées de faïence maintenue par un système métallique. On ne connaissait
pas encore le remplissage automatique des tireuses, ni le bouchon couronne
et il fallait transvaser les tonneaux dans les bouteilles au moyen d'une
petite pompe à main munie d'un petit tuyau de caoutchouc. De l'autre côté de
la cour étaient l'usine prolongée, sur le devant par le bâtiment
d'habitation qui avec la balustrade de sa petite terrasse, ses balcons et
les planches de rives de son toit étaient dentelées comme celles d'un petit
chalet suisse. "Cousin Albert", le frère de ma marraine en était le
brasseur. Il n'était d'ailleurs pas notre parent, mais nous l'avions
toujours considéré comme tel. Dans son petit bureau - maintenant le "salon
de coiffure" du pays - penché sur de grands registres à coins de cuivre, il
s'évertuait à faire de longues additions qui nous affolaient, ou le compte
de ses "emballages vides" car, au moment, le retour des canettes vides était
problématique, et la casse importante. Il nous menait souvent "à l'usine".
Au premier étage, dans une grande salle carrelée, bouillait dans l'énorme
chaudière ronde au couvercle de cuivre rouge, le mélange odorant de l'orge
et du houblon. Cela sentait bon. Mais, lorsque le liquide, après cuisson,
était soutiré, on vidangeait à la pelle,
le dépôt épais de végétaux, "les drèches" qui allaient pourrir au jardin en
exhalant un parfum aussi âcre que puant. Dans un immense bâti métallique,
coulissaient les "nids d'abeille" - les filtres - qu'un ouvrier pressait les
uns contre les autres au moyen d'une roue à manivelle. Dessous, il y avait
une sorte de bassin où s'écoulait le liquide qu'un gros robinet de cuivre
jaune envoyait par un tuyau, dans les caves. Celles-ci étaient voutées,
presqu'entièrement encombrées, chacune, par une haute et large cuve de bois
où séjournait la bière, avant d'être répartie dans les tonneaux que roulait
debout et adroitement un garçon expert en ce genre d'exercice. Plus souvent
encore, Cousin Albert, nous menait au jardin. Il était spacieux, fort bien
entretenu par des ouvriers inoccupés ailleurs, bordé d'espaliers, et
traversé par des allées de gravier, limitées par des rangées de culs de
bouteille, brisées à la canetterie. Au milieu de ce jardin, construite en
pierres irrégulières, il y avait une sorte de grotte que nous trouvions fort
jolie. On pouvait passer dessous, ou par un petit escalier de pierre,
grimper sur une petite terrasse. De là, on voyait le Bî, le canal, les près,
la Meuse. A l'époque "Cousin Albert" était maire du pays. Aussi, lorsque
nous l'apercevions monter la rue du moulin pour aller au café "empiler les
soucoupes" comme il disait, entonnions nous une Marseillaise braillante, ce
qui nous valait la pièce de cinquante centimes convoitée en vue de nous
payer un tour de manège à la fête.
Sa haute cheminée rasée, ses toitures béantes, sa chaudière démontée durant l'occupation, la Brasserie essaya bien, après 1919, de revivre. mais la grande usine construite à Sedan, absorba les dommages de guerre des petites brasseries villageoises et ce ne fut plus qu'un entrepôt. Disparu dans un accident de voiture, mon "cousin", tout comme la brasserie, n'est plus qu'un souvenir.
Le vieux moulin :
Dévalant les pentes escarpées des Hauts-de-Meuse, un
petit ruisseau, formé de plusieurs sources avoisinant les hauteurs de Saint
Pantaléon, longe le bois de Nachet pour s'enfoncer dans le sol et
disparaître vers les Vignes-basses. Il ressurgit dans le village, grossi
d'autres sources, juste sous la maison de ma marraine. Là, entourée d'une
petite rambarde de fer, s'ouvrait une large excavation permettant de voir
l'eau limpide et fraîche s'engouffrer dans le passage qu'on avait ménagé
sous la route. Ce n'était point ca qu'aujourd'hui on appelle une buse, mais
bien un véritable tunnel aux murs et à la voûte de pierres. A la sortie de
ce passage s'élevait, et s'élève encore, le grand lavoir communal. Poussant
leur brouette, chargée de la lessiveuse et du baquet, les lavandières
allaient prendre place sur les dalles de pierre, devant les longues et
épaisses planches qui, de chaque côté, bordaient le lavoir. Une
demi-douzaine de demi-fenêtres arrondies en éclairaient l'intérieur,
laissant pénétrer davantage la lumière par les deux portes toujours
ouvertes. La fraîcheur de ce lieu était telle que la condensation faisait
ruisseler les murs. Le bassin, où s'affairaient à grands coups de
battoir et.......de langue, les bonnes femmes commentant tous les menus
événements du village, était précédé d'un autre plus petit : le caveau où
l'on venait puiser l'eau potable. Après ce lavoir, le ruisseau s'étalait,
recevant encore d'autres sources. On les voyait sourdre, soulevant les
petits gravillons dans le fond de l'au claire. Devenu véritable petite
rivière, le Bief, qu'on appelait le "Bî" était longé, sur chaque rive, par
un étroit chemin, sur lequel, donnaient d'un côté les jardins derrière les
maisons de la rue du moulin, et, de l'autre par les vergers, précédés d'une
rangée de hauts peupliers dont les racines venaient baigner dans l'eau. Les
deux rives étaient réunies par un petit pont, simple passerelle de bois
branlante et qui touchait l'eau, en faisant, lorsqu'on s'y aventurait, de
petites vagues dans un doux clapotis. De place en place, il y avait d'autres
petits lavoirs particuliers.
Certains
étaient même couverts d'un léger toit de planches. Malgré les nombreuses
troupes de canards qui s'y ébattaient, plongeant en montrant leur derrière
pointu, et secouant leurs plumes, à la recherche des vers de vase ou même
des petits poissons, car il y en avait, l'eau demeurait claire. Nous y
péchions, à défaut des petites truites qu'on voyait filer rapides comme
l'éclair, des vairons et des coqhérons, ces minuscules crevettes d'eau
douce. Mais notre jeu principal était de faire circuler nos petits bateaux à
voile. Bien entendu, le Bî était aussi pour nous un lieu de prédilection car
les distractions ne manquaient pas, variant selon notre humeur ou les
circonstances. Sur l'un des bords du ruisseau, entre deux piliers formés de
grosses pierres taillées et cimentées, il y avait la Vanne qui en réglait le
niveau selon les nécessités du moulin, servant en quelque sorte de trop
plein. Celui-ci s'écoulait de la vanne, donnant naissance à un autre petit
ruisseau lequel serpentait dans les vergers avant de revenir se joindre au
Bî après le moulin. Arrivée donc au moulin, l'eau du Bî tombait sur les
aubes de la grande roue de bois qu'elle faisait tourner entre le mur du
moulin et celui de la maison du meunier. Ainsi resserrée la chute était
puissante dans un tumulte de cascade. Ensuite, mais bien plus bas, le Bî
continuait encore sa course pour passer d'abord sous le pont de pierres de
la route, puis sous la brasserie dont il longeait après le jardin, avant de
disparaître sous le siphon du canal, réapparaître de l'autre côté, traverser
la prairie et finalement se jeter à la Meuse. Mû par la chute, la grande
roue tournait, lentement, régulièrement. Son axe, traversant le mur du
moulin et par une autre roue de bois denté, actionnait un engrenage. Si l'on
poussait la porte basse à laquelle on ne pouvait accéder qu'en passant sur
de larges pierres plates dépassant à peine la surface de l'eau - et bien des
fois nous avons mis nos pieds à côté - on apercevait cette roue et tout un
ensemble d'axes et de roues en fer parmi les courroies de cuir qui
s'entrecroisaient faisant mouvoir d'énormes et épaisses meules qui broyaient
le grain dans un roulement sourd ponctué de saccades, du grincement des
engrenages et du bruissement de l'eau. On était saisi par la douce odeur de
farine dont la poussière blanche voletait comme une légère vapeur et
retombait, recouvrant le tout. Le meunier, tout blanc, n'aimait guère nos
visites et s'il quittait le diable chargé d'un lourd sac qu'il venait de
remplir avec une courte pelle, c'était pour nous mettre dehors, plus vite
que nous n'étions rentrés. Aussi, pour nos incursions dans ce mystérieux
domaine, guettions-nous son départ, par la fente d'une planche vermoulue de
la porte. Et, lorsque le guetteur signalait de la main, tout danger écarté,
nous nous faufilions en poussant un peu la porte et nous allions regarder
"tourner les roues" non sans nous être jetés à la face des poignées de
farine dans laquelle il était bien amusant de plonger les mains, mais qui
avait le maudit inconvénient de pénétrer nos vêtements et d'y adhérer
tellement que ma Tante ou Maman en retrouvait jusque dans notre lit. Si
d'aventure nous étions surpris en pleine bataille, nous nous enfuyions
bravement et pour ne pas nous avouer vaincu par l'irascible meunier, nous
courrions à la vanne pour l'ouvrir un peu plus et provoquer ainsi une baisse
du niveau de l'eau, voués aux gémonies par les occupantes des lavoirs, nous
repliant, bien entendu, vers d'autres terrains plus accueillants sans
attendre notre ennemi. D'autres fois, plus calmes, nous nous déchaussions et
tentions, pieds et jambes nus, une traversée pleine d'imprévus, enfoncement
soudain dans la vase jusqu'à la culotte ou coupure sur un tesson de
bouteille. On nous avait tellement recommandé, par peur d'un rhume, de na
pas mouiller nos chaussures ! Ou bien, lorsque notre petite troupe
réunissait suffisamment de gosses, nous décalions la passerelle et à bonne
distance, nous regardions les méritoires efforts des laveuses essayant, en
passant sur le tablier curieusement incliné, de maintenir l'équilibre de
leur brouette. Ruiné par la grande guerre, le vieux moulin de notre enfance
n'est plus. Démonté par les Allemands, il conserva encore pendant quelques
années, sa roue, sans doute amputée de plusieurs aubes. On tenta d'installer
une petite usine électrique mais sans succès, car si la chute aurait pu être
maintenue à la hauteur suffisante, le débit ne pouvait en être constant.
L'Arrêt : La station
de Chemin de fer qui desservait Sivry ne pouvait, certes, pas être qualifiée
de Gare, pas même de petite gare. Le seul bâtiment qui s'élevait auprès des
voies n'était que la petite maison du garde-barrière. Si nous n'avions pas
de gare, les trains de voyageurs s'y arrêtaient tout de même, car on avait
cependant construit, de chaque côté, un quai suffisant recouvert de gravier
et bordé de grosses pierres de granit noir. Sur chacun d'eux, s'élevaient
les écriteaux
d'émail bleu, où en grandes lettres blanches, on lisait : "SIVRY-SUR-MEUSE".
C'était donc l'ARRET. Nous y allions souvent voir passer les trains, car il
y en avait relativement beaucoup : trois de voyageurs, dans chaque sens, et
de nombreux trains de marchandises. Mais d'abord, le passage à niveau, de la
route qui, à travers la prairie, menait au village, avait deux grandes
barrières dont les vantaux de fer quadrillé, pivotant sur leurs potelets de
fer, nous servaient à fermer ou ouvrir, montés les pieds sur le bas, en
poussant de toutes nos forces. Ce mouvement de va-et-vient nous amusait
beaucoup, sauf quand la garde-barrière venait nous chasser à grands cris.
C'était une bonne femme, grande et forte. Elle nous impressionnait, avec son
drapeau rouge, toujours roulé sous son bras, ou bien, le soir, avec sa
lanterne si belle sous les verres colorés vert, rouge et blanc. Lorsque dans
le lointain, s'apercevait, vers Consenvoye, la fumée d'un train, ou que
retentissait l'aigre sonnerie dont le gros timbre était au-dessus de la
fenêtre de la petite maison, annonçant le départ du convoi venant de
Vilosnes, alors la garde-barrière quittait son petit guichet. celui-ci était
ouvert dans un des bas carreaux de la fenêtre. On y recevait les billets.
Elle venait fermer les barrières dont, à la tombée de la nuit, elle allumait
de chaque côté les grosses lanternes à huile, puis, gravement,
majestueusement, sur le quai, elle attendait le train, dont les freins
grinçaient, immobilisant les wagons aux tampons s'entrechoquant, la
locomotive fusant de vapeur. On voyait descendre ou monter quelques
voyageurs. Le plus intéressant, c'était lorsque le train venait de Vilosnes
parce que la locomotive s'arrêtait juste en face de la barrière sur laquelle
nous étions grimpés. Nous regardions le mécanicien dans son bleu à foulard
rouge qui descendait, une grosse burette à la main et faisait le tour de la
machine, pendant que le chef de train, avec sa belle casquette galonnée
descendait, lui, de son fourgon et parcourait le quai à grandes enjambées en
criant : "SI...VRY, SI...VRYSUMEUSE". Puis, on entendait, tout au bout du
train un coup de sifflet, le chef de train remontait dans son fourgon en
soufflant dans une petite trompe. Penché sur la plateforme de la locomotive,
le mécanicien manœuvrait le grand levier d'admission, tirait une poignée,
sifflait la machine, un ronflement faisait sortir de la cheminée une épaisse
fumée noire. On voyait de gros jets de vapeur sortir du cylindre à l'avant,
la longue bielle actionner les grosses roues, et le convoi démarrait,
accélérait déjà lorsque passaient les derniers wagons, pour disparaître
bientôt au tournant de Dannevoux.
La Péniche :
Deux vigoureux chevaux assuraient leur pas lourd et lent
sur le gravier crissant du chemin de halage, le long de la berge herbue
toute bruissante du feuillage tremblotant des hauts peupliers où chantait le
vent. Un pas après l'autre, semblant marquer un temps d'arrêt correspondant
à chacune des tractions qui raidissait le cordage qu'on voyait
successivement effleurer la surface de l'eau, puis se tendre, ramenant
chaque fois des brins d'herbe égouttants, l'attelage avançait, hennissant,
s'ébrouant, secouant la tête énervée par les mouches, encadrée par les
œillères de cuir et coiffée d'un amusant petit chapeau de paille pointu dont
deux trous laissaient passer les oreilles, le corps fumant sous le harnais
dont les traits laissaient pendre de multiples cordelettes multicolores. Le
conducteur, revêtu d'une blouse délavée, suivait en fumant la pipe, attentif
aux mouvements du cordage et ponctuant la marche de jurements sonores
alternant avec les claquements de l'"écourgi" ce fouet à très longue mèche
et à court manche coloré. Lorsque le vent était favorable, le mât était
dressé, pointant vers le ciel sa girouette représentant le plus souvent un
petit bonhomme de métal peint et, hissée par un filin coulissant dans la
poulie, montait une grande vergue transversale dont la gran'voile
rectangulaire se déroulait et toute gonflée par un bon vent arrière allait
soulager l'attelage. La péniche ainsi halée s'approchait du pont. C'est
alors que nous assistions à la manœuvre : Les chevaux s'arrêtaient. Le
charretier détachait le crochet fixant le cordage aux traits. Puis,
saisissant l'extrémité de la corde il la lançait adroitement au marinier sur
la péniche. La poulie du mât grinçait, libérant la vergue et la voile qui
s'affalaient sur le pont. Courant vers l'arrière le long du plat bord, le
marinier tirait sur le cordage du mât qui basculait sur sa base et
s'abaissait. La péniche passait doucement sous l'arche du pont. Penchés sur
le garde-fou nous regardions et avions l'impression que le bateau devenait
immobile et que c'était le pont qui avançait. Fendant l'eau de son étrave
arrondie, l'avant timbré de la croix blanche que formait avec l'étrave, la
poutre de bordé, le chaland nous livrait ses secrets : d'abord le pont
luisant sous les coups de brosse à long manche du marinier qui, de temps à
autre, puisait l'eau avec son seau attaché à une cordelette, puis le reflet
étincelant sous le soleil, des cuivres astiqués, le large prélart de grosse
toile verte recouvrant les cales ou bien les panneaux arrondis cachant le
chargement qu'on tentait de deviner, sur lesquels s'alignaient les longues
gaffes, la petite cabine peinte de couleurs vives, ses petites fenêtres aux
minuscules rideaux, et les jolis petits volets verts, la porte en chêne
clair au bas d'un petit escalier, entre deux caisses à fleurs, le petit
tonnelet d'eau douce sur son chantier lilliputien, enfin, à l'arrière, les
pieds calés sur le caillebotis circulaire, le marinier adossé à la grande
barre du gouvernail, assurait la direction et chacune de ses poussées
provoquait un remous de l'eau sur laquelle dansait une petite embarcation.
Nous nous amusions à déchiffrer les lettres du nom de
la péniche, presque
toujours un prénom, et son port d'attache belge ou français. Au-dessus de
l'inscription flottait un petit pavillon cerné d'une frange aux mêmes
couleurs. Lorsque l'attelage, rapidement passé de
l'autre côté du pont, recevait en retour le cordage d'attelage, il reprenait
sa marche lente et nous, nous nous hâtions de changer aussi de côté sur le
pont, afin de regarder encore la péniche s'éloigner, laissant trainer
derrière elle une odeur de goudron et emporter nos rêves d'aventure et de
voyage dans son sillage. Parfois touché par notre salut et nos souhaits, le
marinier lorsqu'il arrêtait un instant sa péniche pour reprendre sa femme ou
un gosse rentrant de courses au village, consentait à nous embarquer. Alors,
rouge de plaisir - et d'un pas prudent - nous nous risquions sur la planche
qui jouait le rôle de passerelle et nous "montions à bord" fiers de partir
tout comme si nous allions naviguer sur le meilleur des trois-mâts. Hélas,
la traversée s'arrêtait à l'écluse voisine. Parfois aussi c'était une
étrange péniche qui venait s'ancrer au port. Le tambour du village avait
annoncé sa venue. On ne manquait pas la visite. C'était ou un magasin de
faïence et d'objets ménagers divers, un vrai bazar, ou bien, ce qui nous
intéressait davantage, un atelier d'artisan qui filait le verre devant vous
et réalisait de jolis mais fragiles navires, de petits paniers finement
tressés ou encore de charmants animaux roses ou bleus. Parfois encore, le
bateau venait, pour la nuit, s'amarrer le long de la berge et le marinier
enroulait les cordes d'ancrage autour des troncs des peupliers. Si
l'attelage lui appartenait, son conducteur après avoir dételé, emmenait
boire les chevaux au bief voisin, puis les ramenait à la péniche qui
possédait une petite écurie dont on voyait les planches émerger de la cale.
Les chevaux y pénétraient par une rampe de bois strié pour éviter les
glissades. Ils avaient grande habitude de la descente et nous étions
émerveillés de les voir s'y engager sans hésiter. Si, comme le plus souvent,
l'attelage avait été loué dans un village plus au Nord ou plus au Sud, le
charretier le conduisait à l'auberge où mon cousin en prenait soin pendant
que ma tante se chargeait de la restauration et de l'hébergement du
bonhomme. Après la guerre de 1914-1918, lorsque furent réparées les berges
du canal qui avaient été gravement endommagées par les bombardements et
reconstruites les portes d'écluse, ce furent de véritables convois, des
trains de trois à quatre péniches tirés par les remorqueurs dont la haute
cheminée crachait des volutes de fumée noire - tout comme à Paris, sur la
seine -. C'est probablement pourquoi nous n'y prêtâmes guère attention.
Maintenant, après la seconde guerre de 1939-1945, ce sont des péniches de
plus en plus grandes, de plus en plus rapides, les "automoteurs" qui se
succèdent dans le remous des hélices tournant trop vite qui remuent la vase
du fond et rongent les berges dénudées et effondrées, laissées à l'abandon.
Il faudra attendre 1976 pour qu'on se décide enfin à maintenir les berges -
par endroits un simple talus de 0,50 m de large, et encore raviné - par
l'enfoncement de palplanches métalliques.
Les Sources :
Au sommet des Hauts de Meuse, à l'Est de Sivry, s'élevait sur une crête de 306 mètres d'altitude, une très ancienne chapelle dédiée à Saint Pantaléon. Ce saint, qui fut en l'an 302 martyrisé sous l'empereur romain Dioclécien, était un médecin célèbre dans l'antiquité pour les soins qu'il apportait aux malades de la vue. Si la chapelle de Sivry perpétue son souvenir c'est en raison du voisinage d'une fontaine d'où s'écoule abondamment une eau fraîche et limpide, jamais tarie, et autour de laquelle, chaque année, se réunissaient tous ceux qui souffraient des yeux pour les laver à cette source, dont ils en attendaient le soulagement à leurs maux. Selon la chronique, nombre de guérisons miraculeuses auraient confirmé la vertu des eaux pures de cette fontaine. Si, par la route nationale 64, on sort de Sivry par le Nord et que l'on quitte cette route au virage après Warsin et que l'on emprunte le chemin grimpant qui conduit au village, on trouve, juste à l'entrée, un lavoir communal alimenté par une source si abondante que par moments elle inonde le chemin. Or, ce lavoir a été bâti à l'emplacement d'un moulin. Mais, ce qui est curieux c'est que ce moulin était un moulin à eau, tout comme celui de Sivry. N'est-ce pas étonnant à 340 m d'altitude ? N'aurait-on pas plutôt attendu un moulin à vent ? Et, cette autre source jaillissante, dans le Bois de Nachet, vers "la Hunelle", faisant couler ses eaux sur les cailloux du sentier devenu ruisselet. Cette source avait permis pendant la grande guerre et l'occupation des bois par l'artillerie lourde allemande, la construction d'abreuvoirs dont l'un subsiste encore en bordure de la route montant à la Villeneuve. Il y avait aussi, de l'autre côté de cette route, lorsque nous sommes revenus sur place en 1919, entre les ruines des baraquements ayant servi de cantonnement aux troupes, un petit bassin avec un petit jet d'eau et, en tête du bassin une grosse pierre sculptée représentant la tête de Neptune. Avec l'aide de mon Père et de mon cousin nous avons ramené sur un tombereau, cette curieuse pierre à la maison où près du garage elle a repris son rôle de fontaine.